Comme promis, voici un autre extrait de La Lune Noire, un peu plus long et totalement inédit cette fois.
Pour replacer l'extrait dans son contexte, on peut dire que les incidents se multiplient à Lunargent entre les nains et les autres peuples. Un de ces incidents a lieu sur un marché et tourne à la bagarre générale. Les gardes spéciaux interviennent et parviennent à séparer les adversaires, mais pas à les disperser. Les nains exigent de parler à un représentant du royaume issu de leur peuple et le capitaine Lugantz décide de demander son aide à Evrahl, notre narrateur.
[…] Il me conduisit vers les nains regroupés sous la surveillance de nombreux gardes et mes frères de race me regardèrent approcher avec une méfiance hostile qui me fit mal. Les soldats nous laissèrent passer, Lugantz et moi, tandis que les cris en provenance de l’autre camp s’intensifiaient, plusieurs des insultes que je comprenais me faisant serrer les dents de fureur. Les nains étaient silencieux, la plupart paraissaient originaires de Nensk et je les saluai donc de la manière en usage dans notre cité souveraine. Je me présentai dans notre langue, expliquant que je travaillais occasionnellement pour Torn sans préciser davantage, mais ce fut dans la langue des hommes que l’on m’interrompit.
- Êtes-vous de leur côté ? lança un nain assez âgé, agressif.
- Non, répondis-je calmement. Je suis du côté de mon peuple.
- Alors comment pouvez-vous servir Torn qui a provoqué la mort de milliers des nôtres ! cria un autre, plus jeune. Avez-vous déjà oublié ce qui s’est passé à Kelrhun ?
Je pris une profonde inspiration.
- Certainement pas, fis-je fermement. Et si je sers Torn, c’est parce que je reste persuadé qu’il est l’allié de notre peuple.
- C’est sûrement pour ça que nous sommes traités comme des chiens dans son royaume ! ricana amèrement un de ceux tout proches de moi.
Je plongeai mon regard dans le sien.
- Il arrive que les rois soient en désaccord avec leur peuple, déclarai-je. De toute manière la question n’est pas là pour le moment. Je comprends votre colère, moi aussi je subis chaque jour le mépris des lunargentins, mais je vous en prie, à quoi bon provoquer un bain de sang ? Votre honneur vaut-il de priver vos familles de votre présence et de votre protection ? Les vôtres ont besoin de vous, ne vous laissez pas entraîner dans un combat absurde. Ne vous abaissez pas au niveau de ceux qui nous méprisent. Eux n’ont rien à perdre. Vous oui.
Je ne fus pas mécontent de voir que ce petit discours avait quelque effet, certains nains murmurant entre eux, mais ma satisfaction fut de courte durée. Le même nain qui avait pris la parole un instant plus tôt et qui se tenait juste devant moi intervint à nouveau.
- Et que se passera-t-il si nous cédons maintenant ? cracha-t-il avec colère. Que se passera-t-il si nous acceptons qu’on refuse de nous servir sans broncher ? Je vais vous le dire, moi ! Dans un cycle, plus personne ne nous vendra quoi que ce soit ! Plus aucune auberge ne nous acceptera comme client, nous n’aurons plus accès à un seul commerce ! Si nous nous laissons faire, Lunargent nous rejettera jusqu’à ce que nous n’ayons plus d’autre choix que partir ! Mais pourquoi devrions-nous partir ? Nous avons combattu pour Torn pendant la guerre des Vingt Lunes ! Sans nous, jamais il n’aurait remporté la victoire ! Nous avons mérité notre place à Lunargent, personne n’a le droit de nous chasser ! Nous ne devons pas accepter cela ! Nous ne sommes pas des lâches ! Il faut nous révolter ou on nous écrasera !
Une clameur d’approbation monta du petit groupe de nains et celui qui venait de parler ainsi me lança un regard de défi. […]
- Eh bien, messire l’agent royal, il n’en a pas fallu beaucoup pour vous clouer le bec ! ricana-t-il.
Il me saisit brusquement par le col. Lugantz voulut intervenir, mais je l’arrêtai d’un geste. Mon frère de race approcha son visage du mien jusqu’à ce que nos souffles se mêlent.
- Les gens comme vous sont une honte pour notre peuple, murmura-t-il avec haine. Vous ranger aux côtés de nos ennemis plutôt qu’avec nous… c’est répugnant.
- Si vous considérez les lunargentins comme des ennemis, pourquoi tenez-vous tant à rester ici ? répliquai-je froidement. Pour être dans une guerre perpétuelle ? Ne vous rendez-vous pas compte que nous sommes en nombre inférieur, que nous sommes dans leur royaume, que nous n’avons aucune chance ? Se battre dans de telles conditions n’est pas héroïque, c’est stupide.
- Vous êtes un lâche ! s’écria-t-il avec fureur.
- Et vous un imbécile. J’ai combattu pendant la guerre des Vingt Lunes et jamais je n’ai reculé devant l’ennemi, car je savais qu’il y avait une chance de vaincre. Se jeter dans une bataille perdue d’avance n’a aucun sens. Y entraîner d’autres personnes est criminel. Les gens comme vous qui donnent l’illusion à notre peuple que la révolte est la seule issue lui font bien plus de mal que les gens comme moi qui prônent la paix.
- La paix à n’importe quel prix ? rétorqua-t-il. Nous méritons d’être traités comme n’importe lesquels des lunargentins, nul ne peut nous refuser ce droit ! S’il le faut, nous le prendrons par la force !
- Vous n’obtiendrez rien par la force ! La colère vous aveugle !
- Elle ne m’empêche pas de voir en tous cas que vous êtes un traître à notre peuple !
Je le vis prendre son élan, mais je ne parvins pas à me dégager de sa poigne. Son poing me percuta en plein menton. […]
Voilà de quoi vous donner un aperçu de l'ambiance à Lunargent en ces temps sombres. :o)
Alors ? Qu'en pensez-vous ?
@+ pour la suite