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11 juillet 2008 5 11 /07 /juillet /2008 07:42
Bonjour !

Voici la suite ! :o)

Bonne journée !
@+




                                                                                             3


            Nolim se réveilla brusquement, tremblant, haletant, en sueur. Il retomba aussitôt sur son oreiller avec un soupir. Un cauchemar. Rien de plus qu’un cauchemar. Il essuya son front dégoulinant d’un revers de main mal assuré et jeta un regard circulaire autour de lui. Tous les autres serviteurs qui partageaient la même chambre que lui dormaient encore, la plupart venant à peine de s’endormir. Nolim les avait entendus rentrer des fêtes deux ou trois heures plus tôt, chuchotant, à moitié ivres pour la majorité, encore prodigieusement excités à l’idée de ce à quoi ils allaient assister. Le jeune garçon trouvait cela écœurant. Mais il était dans ses habitudes de se sentir différent des autres.

            Brusquement nerveux il s’extirpa du lit, ramassa ses vêtements et sortit silencieusement du dortoir. Les thermes des serviteurs étaient vides et il en profita pour prendre un long bain, se prélassant dans l’eau chaude avec délice, songeant à Lune-de-jour. Nolim savait qu’il n’était pas comme la plupart des Ferhirés, en réalité il n’était probablement pas un Ferhiré comme en attestait ses cheveux d’un blanc de neige, sa peau noire comme l’ébène et ses yeux d’un violet profond. Cela expliquait peut-être pourquoi il jugeait cette cérémonie barbare et absurde et pourquoi l’idée d’être séparé de Lune-de-jour l’attristait tellement.

            Nolim savait qu’on l’avait découvert tout bébé sur une plage de l’Océan des Flammes, surgi de nulle part, abandonné entièrement nu sur le sable. Des pêcheurs l’avaient ramené dans leur village, à la fois fascinés et terrifiés, et sans l’intervention de Lune-de-jour par hasard en promenade ce jour-là, il aurait certainement été sacrifié à Sram ou un autre des dieux du Thalnathos. Mais Lune-de-jour l’avait sauvé et avait fait en sorte qu’on l’élève au Palais de Nacre, jusqu’à ce qu’il soit assez grand pour le-la servir. Peu à peu on s’était habitué à son apparence peu commune et même s’il subissait encore des quolibets, rares étaient ceux qui l’atteignaient réellement. Nolim se sentait heureux auprès de Lune-de-jour, il n’avait aucune envie que les choses changent.

           Pourtant les choses devaient changer. Cette révélation le frappa brutalement. Il eut la sensation que l’eau des thermes, pourtant claire et à une température idéale, se faisait soudain sombre et profonde, glacée. Il frissonna et voulut quitter le bassin où il se trouvait, mais il se rendit compte avec panique qu’il était incapable de bouger. Il appela à l’aide, mais il n’y avait personne dans la salle. Sa respiration se bloqua lorsqu’il prit conscience du fait que l’eau l’attirait lentement vers le fond. Il chercha à se débattre encore, mais il était comme paralysé. Des larmes de terreur jaillirent malgré lui de ses yeux violets. Il hurla encore et encore, vainement, et l’eau commença à s’infiltrer dans sa bouche.

            Bientôt elle atteignit le niveau de son nez, puis ses yeux, son front, et l’engloutit totalement. Tournoyant doucement sur lui-même, Nolim glissa lentement jusqu’au fond du bassin. Il finit par sentir les pierres qui tapissaient le sol contre son dos et loin, très loin au-dessus de lui, il distinguait les lumières qui éclairaient les thermes et se reflétaient à la surface. Il était encore terrifié, d’autant plus qu’il ne comprenait pas comment il pouvait continuer à respirer alors qu’il était sous l’eau, mais peu à peu un étrange apaisement le gagna.

            Quelque chose affleurait à sa conscience, quelque chose qui concernait sa vraie nature et l’importance de la tâche qui lui incombait. Des souvenirs… Des souvenirs se reformaient peu à peu, naissant d’éclats de pensées disparates dont il n’avait jamais compris la provenance, reflétant une vie passée, sa vie. Lentement les histoires qu’il avait l’habitude de raconter sans savoir d’où lui venait l’inspiration prirent un sens nouveau. Cela devait arriver aujourd’hui, maintenant, telle était la volonté du Dieu Supérieur. Nolim le conteur d’histoires ferma les yeux et s’immergea en lui-même avec sérénité. Proche, c’était si proche. Et soudain il sut.

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9 juillet 2008 3 09 /07 /juillet /2008 09:28
Bonjour à tous !

Voilà la suite de la nouvelle !
Pas d'autres news en ce moment, c'est un peu mort.

Bonne lecture et bonne journée !
@+




                                                                                                     2


            Langraf s’étira lentement, faisant jouer chaque muscle de son corps, puis poussa un profond soupir. L’aube déjà. Le Grand Prêtre roula sur le côté et se força à quitter la douce chaleur du lit. Il glissa une robe sur son corps maigre à la musculature sèche, aux cicatrices innombrables, et posa un regard distrait sur sa maîtresse. La jeune femme dormait paisiblement, un bouquet de rayons solaires nimbant d’or son visage à la peau mate. Du bout du doigt Langraf écarta une mèche de ses cheveux noirs et un sourire satisfait étira ses lèvres minces. Elle avait de quoi être fatiguée après la nuit qu’ils avaient passée…

            Langraf savait que la tradition Ferhir voulait que le Grand Prêtre consacre la nuit précédant la cérémonie à la prière, mais l’homme savait également que s’il avait toujours respecté la tradition il ne serait pas devenu Grand Prêtre à seulement trente ans. Peu lui importait des commandements vieux de plus de mille ans, seule comptait sa volonté inaltérable d’acquérir toujours davantage de pouvoir. En outre c’était la première fois qu’il menait la cérémonie, il se sentait nerveux et faire l’amour avait le don de le calmer. Il arrivait mieux à réfléchir les bourses vides.

            Langraf s’étira encore, souple et gracieux comme un félin, puis se dirigea paresseusement vers la fenêtre. Un coup d’œil à l’extérieur lui apprit que les rues étaient désertes. Après avoir fait la fête toute la nuit, les Ferhirés s’étaient retirés pour dormir quelques heures avant la cérémonie qui devait avoir lieu à midi pile. Au loin l’Océan des Flammes scintillait sous le soleil, ses eaux vertes et calmes ayant épuisé toute leur colère pendant les heures nocturnes, et le ciel était d’un bleu limpide. Il était encore très tôt, mais le paysage aride vibrait déjà sous la chaleur. Du côté du Désert Huon Langraf apercevait le nuage de poussière soulevé par une caravane retardataire qui cherchait à rallier la cité avant le début de la cérémonie. Cette pensée le ramena à ses propres devoirs. Il était temps qu’il aille rendre une petite visite à Lune-de-jour.

            Le Grand Prêtre s’habilla rapidement, puis passa un long moment à coiffer méticuleusement ses cheveux blonds en trois longues nattes impeccables. Il répéta la même opération avec sa fine et interminable barbiche. Un examen approfondi dans le miroir lui révéla qu’il avait plutôt belle allure. Sa robe d’un bleu presque noir allongeait sa silhouette, lui donnant l’air plus grand qu’il n’était, et ses yeux verts, à l’éclat rehaussé par la pâleur de son teint qu’il protégeait soigneusement du soleil, brillaient d’orgueil et d’assurance. Il lança un sourire carnassier à son reflet et quitta sa chambre.

            Langraf longea rapidement les couloirs du Palais de Nacre, ignorant les saluts respectueux des serviteurs sur son passage et les regards haineux qu’on lançait dans son dos. Il savait qu’on ne l’aimait pas, mais tant qu’on ne le défiait pas cela n’avait aucune importance. Une fois débarrassé de Lune-de-jour il pourrait s’installer tranquillement au pouvoir pendant toute la Régence. Ensuite il lui suffirait d’éradiquer définitivement la lignée des Equilibrés et sa puissance serait absolue. Mais tout d’abord il fallait se concentrer sur la cérémonie. Puisqu’on lui facilitait déjà si aimablement la tâche autant faire les choses correctement.

            Enfin la porte des appartements de la druide apparut au détour d’un couloir. Langraf s’arrêta quelques secondes devant, prit une profonde inspiration, drapa son visage arrogant de douceur et de bonté, et frappa. Une voix inimitable, aux inflexions tout aussi féminines que masculines, lui ordonna d’entrer et il s’exécuta.
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7 juillet 2008 1 07 /07 /juillet /2008 08:36
Hello !

Histoire de pas trop mal démarrer la semaine, voici la première partie d'une nouvelle écrite en 2004.
Il s'agissait de poser les premières bases d'un univers de fantasy que j'ai repris dans un roman non publié à ce jour, ainsi que de répondre à un petit défi sur le thème "lune et jour". J'espère que ça vous plaira. :o)

Bonne journée !
@+


                                                                                                 1


           C’était une nuit sans lune. Debout à la fenêtre Lune-de-jour observait la cité qui s’étendait à ses pieds. Au loin on apercevait le long serpent des remparts et encore plus loin la ligne de l’Océan des Flammes qui irradiait une lumière orangée sur tout le paysage désertique. En contrebas de la haute tour où se trouvait Lune-de-jour les rues grouillaient de monde, d’une foule bruyante et agitée qui l’invoquait à grands cris. Des feux avaient été allumés au centre des places et on se pressait autour, dansant au son des tambours, chantant, ripaillant, fêtant la nouvelle ère qui commençait. Lune-de-jour jugeait toute cette agitation à la fois belle et sauvage, effrayante.

            La druide leva un instant les yeux vers le ciel d’encre, noirci par les fumées de l’Océan des Flammes, et adressa une brève prière à Sram. Mais il-elle doutait que le Dieu Supérieur quitte le Thalnathos pour venir l’aider. Il-elle devrait affronter le début de cette nouvelle ère seul-e. La druide poussa un profond soupir et regagna l’intérieur de sa chambre, quittant le balcon, fermant la fenêtre derrière lui-elle. Il-elle en avait assez d’entendre les hurlements de la foule.

           Lune-de-jour se laissa tomber au milieu d’un confortable tas de coussins et jeta un regard circulaire autour de lui-elle. La druide avait réussi à obtenir de passer cette nuit sans personne. Il-elle avait besoin de remettre de l’ordre dans ses pensées. Cela faisait des années qu’il-elle se préparait pour cette cérémonie, mais il-elle n’était pas vraiment certain-e d’être prêt-e à affronter ça. La druide se prit la tête dans les mains, respirant lourdement.

            Il-elle était perdu-e dans ses réflexions lorsqu’on posa soudain une main douce sur son bras. Il-elle se redressa brusquement. Nolim se tenait devant lui-elle, souriant timidement. Il lui tendit une assiette couverte de nourriture.

            - J’ai pensé que Votre Equilibre aurait faim, murmura le jeune serviteur.

            Lune-de-jour haussa les épaules. Pourquoi ne pouvait-on pas le-la laisser tranquille ? Nolim eut un mouvement de recul, gêné. Il s’inclina profondément.

            - Que Votre Equilibre me pardonne, s’empressa-t-il de dire. J’aurais dû attendre que Votre Equilibre me sollicite. Je vais me retirer.

            Le jeune garçon avait presque atteint la porte lorsque la druide se décida.

            - Attends ! lança-t-il-elle. J’aime mieux que tu restes.

            Nolim revint aussitôt sur ses pas, un sourire aux lèvres. Lune-de-jour n’avait jamais compris l’affection que l’enfant éprouvait pour lui-elle, mais cela lui faisait plaisir. Et puis ce garçon était tout à fait intéressant. La druide s’allongea dans les coussins et fit signe à Nolim de s’asseoir à côté de lui-elle.

            - Raconte-moi une de tes histoires, demanda-t-il-elle.

            Nolim hocha la tête avec joie et se lança dans le récit d’un conte interminable qu’il inventait au fur et à mesure. Lune-de-jour poussa un petit soupir de satisfaction. Il-elle ne se rappelait jamais des histoires de Nolim, mais la voix du jeune garçon le-la berçait plus agréablement que n’importe quelle musique. La druide se sentait apaisé-e par cette douce mélodie.

            Au bout d’un très long moment Nolim se tut enfin. Il tourna la tête vers Lune-de-jour et retint un sourire. La druide s’était endormi-e. Il-elle était beau-belle dans l’abandon du sommeil, ses longs cheveux noirs étalés autour de son visage fin, ses paupières aux cils interminables fermées sur ses yeux d’un bleu si profond, son corps gracile au repos. Le sourire de Nolim s’évanouit lentement. Il aimait la druide et même s’il était trop jeune pour avoir assisté à la précédente cérémonie il avait une vague idée de ce en quoi elle consistait. Cela le terrifiait. Mais il n’avait aucun moyen de l’empêcher. Il n’était qu’un serviteur et les dieux du Thalnathos devaient être satisfaits. Nolim poussa un profond soupir, glissa une couverture sur la frêle silhouette endormie et quitta la chambre avec un sentiment de tristesse diffus.

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24 juin 2008 2 24 /06 /juin /2008 15:50
Hello !

Eh oui, le Crédit Mutuel me paye pour que je leur fasse de la pub ! ;o)
Il n'empêche, je ne peux que leur faire un petit clin d'oeil, puisque mon agence locale vient de m'acheter 20 exemplaires de La Lune Noire et 20 exemplaires de La Mer des Songes  !
Le genre de vente qui mérite d'être mentionnée et qui fait plaisir ! Vive le soutien aux artistes locaux !
Peut-être que l'état de mon compte en banque commençait à leur faire peur et qu'ils ont voulu faire un geste... Je les comprends. ;o)

Sur cette bonne nouvelle, je vous dis à très bientôt pour une nouvelle nouvelle... (oui, j'aime les allitérations en "nouvelle" ;o)

Bonne soirée à tous !
@+
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17 juin 2008 2 17 /06 /juin /2008 10:06
Bonjour !

Voici enfin la dernière partie de la nouvelle ! :o)

Bonne lecture !
@+


                                                                                           6

            Neo se réveilla dans un sursaut. Katrin n’était plus dans le lit près de lui. Il se redressa, alluma la lumière, mais la chambre était vide. Il repoussa les couvertures avec un soupir et se leva. Depuis un mois qu’ils couchaient ensemble, ce n’était pas la première fois qu’il se retrouvait seul au matin. Elle ne lui avait jamais dit où elle partait, il ne savait rien d’elle en réalité, il se contentait de l’avoir auprès de lui de temps en temps.

                Neo s’étira et mit en route l’ordinateur portable sur lequel il avait consigné tous les souvenirs qu’il avait pu retrouver du fonctionnement de la société et de son long séjour là-bas. Tandis que la machine démarrait, il enfila une robe de chambre et se servit un verre. Mais le whisky ne suffit pas à le réveiller. Il gagna la salle de bain et aspergea son visage d’eau glacée. En se redressant il examina ses traits dans le miroir.

            Il avait repris un peu de poids depuis son évasion, mais ses cheveux avaient également grisonné et la large cicatrice qui barrait son front n’avait pas l’air de vouloir s’effacer. Son regard n’était plus vide comme il l’avait été autrefois, mais tout de même un peu voilé par des nuits d’insomnie passée à écrire ses mémoires. Il avait pris le parti de rédiger le tout sous la forme d’un roman, faisant de lui-même son propre héros, pensant que cela permettrait de toucher plus facilement les gens en suscitant leur empathie. Il avait achevé son travail la veille au soir et priait maintenant de ne pas avoir fait tout ça pour rien.

            Il quitta la salle de bain et s’installa devant l’ordinateur, son verre à  la main. Il ouvrit le fichier contenant son roman et commença à relire les premières lignes. Il n’avait pas parcouru une page que la porte de l’appartement s’ouvrait brusquement dans son dos. Il se leva et se retourna dans le même mouvement.

            Vladimir Ador se tenait devant lui, accompagné de Katrin et de trois autres hommes aux mines sombres. Le chef de section lui sourit.

            - Monsieur Slave, fit-il. Comment allez-vous ?

            Sans réellement savoir pourquoi, Neo se mit à éprouver une peur lancinante. Discrètement il pivota sur lui-même pour se placer entre ses visiteurs et la fenêtre.

            - Qu’est-ce qui me vaut cette visite ? murmura-t-il, craignant par avance la réponse.

            Le sourire de Vladimir s’accentua.

            - Katrin nous a dit que vous aviez fini votre roman et nous avons pu constater par nous-même que votre taux de créativine était retombé au plus bas.

            - Mon taux de…

            Neo s’interrompit, frappé par ce que cela sous-entendait. Il eut un mouvement de recul. Les trois hommes commencèrent à se déployer dans la pièce, silencieux comme des ombres.

            - Vous avez été un sujet d’expérience très intéressant, poursuivit Vladimir, et nous avons pu constater grâce à vous que notre nouvelle technique de stimulation est très efficace, de même que l’implant qui nous permet de récupérer la créativine. Vous ne vous êtes jamais demandé pourquoi cette coupure sur votre front somme toute peu profonde ne se fermait pas, monsieur Slave ? Il faut croire que Katrin est réellement habile, ou que vous avez un sommeil réellement très lourd. Me croiriez-vous si je vous disais que pendant cet unique mois vous avez été plus productif qu’au cours des quinze dernières années ? C’est tout à fait stupéfiant ce qu’un peu d’action peut stimuler l’imagination alors même qu’un sujet semblait totalement perdu pour la production. Malheureusement toute expérience a une fin. Nous aurions pu vous entretenir dans votre illusion, mais nos chercheurs nous affirment que votre taux ne remontera plus jamais maintenant, alors à quoi bon ?

            - Vous… vous allez me recycler… ? souffla Neo d’une voix étranglée. 

            - En effet, je crois que cela vaudra mieux pour tout le monde, n’est-ce pas ?

            Neo écarquilla les yeux d’horreur, chercha le regard de Katrin. La jeune femme détourna la tête. L’écrivain recula lentement.

            - Non…, murmura-t-il. Non non non !

            Il se précipita vers la fenêtre, fit le geste de se jeter à travers. Mais les trois hommes furent sur lui d’un bond. Ils l’écrasèrent sur le sol, le rouèrent de coups jusqu’à ce qu’il cesse de se débattre. Puis ils le traînèrent hors de la chambre, à demi inconscient. Vladimir les regarda sortir avec un sourire de satisfaction, puis se dirigea vers l’ordinateur. Il tira un revolver de sa poche et fit exploser la machine, avant de la faire tomber de la table et de la piétiner.

            - Voilà une bonne chose de faite, conclut-il.

            Et il quitta la pièce à son tour.

            Katrin promena longuement son regard sur l’appartement, ses yeux accrochant sur le lit. Elle poussa un profond soupir, palpa le chèque glissé dans sa poche pour se donner du courage et fit quelques pas vers la porte. Elle s’arrêta sur le seuil, secoua lentement la tête et partit. 

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14 juin 2008 6 14 /06 /juin /2008 14:00
Hello !

Attention, avant-dernier chapitre !
On approche de la fin. ;o)

Bon week-end !
@+


                                                                                                 5

          Neo poussa un petit soupir de contentement. Ses doigts caressèrent doucement le visage de Katrin, balayant les mèches de cheveux qui voilaient ses joues. La jeune femme s’était endormie contre son torse, épuisée par la violence de leurs ébats. Neo s’en voulait un peu d’avoir été aussi brutal, mais il avait trop de temps à rattraper pour se permettre de la ménager. Le simple fait d’y repenser faisait renaître le désir en lui et il dut s’obliger à détourner son esprit, répugnant à aller jusqu’à réveiller sa compagne pour assouvir ses insatiables pulsions. Il se laissa aller sur l’oreiller et ferma les yeux, laissant défiler dans sa tête les images de cette journée, la plus belle journée de toute son existence.

            Il y avait d’abord eu le petit restaurant français, charmant, intime, romantique, empli de couples, d’odeurs douces et subtiles, d’une musique calme et apaisante. On leur avait servi une succession de plats délicieux accompagnés d’un vin qui avait coulé dans sa gorge comme du velours, nectar divin qui l’avait enivré. Il avait trouvé l’alcool si bon qu’il en avait en effet un peu abusé, au point que sa démarche n’était pas très assurée lorsqu’ils avaient quitté le restaurant. Katrin l’avait soutenu en riant, visiblement très amusée par son enthousiasme et sa fascination pour tout.

            Ils avaient ensuite passé un moment assis sur un banc, dans un parc, le temps que Neo retrouve un peu ses esprits. Regarder passer les gens, les enfants qui jouaient, les pigeons qui venaient mendier quelques miettes de nourriture, les vieux appuyés sur leur canne, les amoureux qui s’embrassaient, et écouter le vent dans les arbres, le pépiement des oiseaux, le son étouffé d’un orchestre installé à l’entrée du parc, les rires des petits d’hommes… Neo en avait empli ses yeux, ses oreilles, son cœur. Il en avait rempli son âme comme pour essayer de la soigner après ces années de sécheresse, de vie aride et inutile.

            Il aurait pu passer tout l’après-midi dans ce parc, sans se lasser de ce spectacle à chaque instant renouvelé, mais Katrin avait fini par le décider à aller ailleurs. Elle avait pris sa main et sans répondre à ses questions l’avait entraîné dans le métro. Ils s’étaient assis parmi les autres gens et la rame s’était enfoncée dans les entrailles de la ville. Mais à cet instant Neo ne songeait plus à observer la foule autour de lui. Une pensée s’était imposée à son esprit : ce métro fonctionnait grâce à l’énergie produite dans l’enfer dont il venait de s’échapper. Sans les créateurs, sans leur créativine, pas d’énergie, pas d’électricité, pas de carburant, pas de métro, de voitures, de lumière…

            En voyant son visage s’assombrir, Katrin avait serré sa main plus fort et dans son regard Neo avait compris qu’elle avait déjà ressenti ce qu’il éprouvait. Il s’était rapproché d’elle et la jeune femme avait passé un bras autour de ses épaules, le soutenant silencieusement, tendre et amicale. Leurs lèvres s’étaient effleurées, puis la rame avait rejoint une station et ils étaient descendus.

            En découvrant l’endroit où Katrin l’avait amené, Neo avait tout oublié. Ils avaient traversé une rue et s’étaient retrouvés sur une immense plage, presque entièrement vide en ce jour de travail. Du sable à perte de vue et l’océan, l’océan qui couvrait tout jusqu’à l’horizon, d’un vert sombre et profond. Après un regard à Katrin, Neo avait ôté tous ses vêtements et avait plongé dans l’eau. Il n’avait jamais appris à nager et l’océan était glacé, mais il s’y était baigné avec délice, s’ébattant comme un jeune chien, fou de joie. Katrin avait rassemblé ses vêtements jetés pêle-mêle et s’était assise sur le sable, l’observant avec un sourire tandis qu’il défiait les vagues, se jetait sous l’eau, criait et riait comme un enfant.

            Ils étaient restés là jusqu’à la nuit tombée et Neo s’était laissé sécher sur le sable, sous les rayons dorés et obliques du coucher de soleil. Ils étaient restés sans parler, échangeant quelques caresses, quelques baisers furtifs, se frôlant sans se toucher. Puis il avait commencé à avoir un peu froid, sensation merveilleuse, et il s’était rhabillé. Ils avaient repris le chemin du métro et avaient regagné le centre ville.

            Ils avaient acheté un repas à emporter chez un traiteur chinois et étaient retournés dans la chambre d’hôtel. Ils avaient mangé rapidement, parlant de tout et de rien, puis ils avaient tout laissé tomber pour faire l’amour. Sur le lit, sur la moquette, dans la douche. Encore et encore. Jusqu’à ce que Katrin implore merci. Et maintenant elle dormait contre lui, sa peau blanche et douce, chaude, contre la sienne.

            Neo se sentait vidé et paradoxalement plus vivant que jamais. Incapable de trouver le sommeil, il repoussa doucement Katrin et se leva. Il ramena prudemment les couvertures sur elle et gagna la fenêtre, plongeant à nouveau son regard dans la rue.

            Il était trois heures du matin, il n’y avait plus guère de circulation. Quelques phares de voitures parfois, quelques ombres sous les lampadaires. Neo appuya son front contre la vitre glacé, savourant la douleur qui se répandait sous son crâne jusqu’à en avoir les larmes aux yeux. Lorsqu’il se redressa Katrin se tenait derrière lui. Elle passa ses bras autour de son torse et appuya sa joue contre son dos.

            - A quoi tu penses ? murmura-t-elle.

            Neo mit un long moment à répondre.

            - Ces gens…, souffla-t-il. Tous ces gens… Ils ne sont pas plus mauvais que d’autres… Pourquoi est-ce qu’ils nous laissent subir tout ça ?

            Katrin soupira.

            - Ils ne connaissent pas la vérité, Neo, ils ne savent pas ce qui se passe derrière les murs de la société.

            - Pourquoi est-ce que personne ne dénonce ce qu’on ne nous fait ? Toi, tu aurais pu témoigner. Pourquoi tu ne l’as pas fait ?

            Katrin soupira encore, le serra davantage. Il sentit soudain quelque chose d’humide sur sa peau. Il se retourna vivement. Elle pleurait. Il la prit dans ses bras.

            - Pardon, chuchota-t-il. Pardon, mon ange…

            - Je ne pouvais pas…, gémit-elle. Être libre enfin… Je ne pouvais pas parler de tout ça, faire revenir tous ces souvenirs à la surface ! Je ne voulais pas ! Je suis lâche sans doute…

            Neo caressa ses cheveux, embrassa son cou.

            - Je comprends…

            - Toi, murmura-t-elle, tu le ferais ? Tu serais capable d’écrire un livre qui décrirait tout ça ?

            Neo hésita. Quelque chose dans cette question le troublait. Ecrire un livre ? Ecrire juste pour écrire, sans souci de production, de créativité, écrire pour montrer la réalité à tous… Etait-il capable de ça ?

            - Oui, finit-il par dire à haute voix. Oui, je le ferais. Je vais le faire…

            Katrin se détacha de lui, plongea son regard dans le sien.

            - Tu vas le faire ? répéta-t-elle.

            Neo hocha la tête avec une assurance grandissante.

            - Je vais le faire et avec ou sans l’aide de votre groupe je ferai en sorte que ce livre soit diffusé dans tout le pays.

            Katrin eut un sourire, s’empara de ses lèvres.

            - Je t’aime…, souffla-t-elle.

            Et elle passa ses bras autour de son cou et l’attira vers le lit.

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13 juin 2008 5 13 /06 /juin /2008 09:13
Hi !

Comme vous l'aurez peut-être constaté, j'ai créé une nouvelle catégorie afin de publier ici quelques textes qui traînent dans mes tiroirs. Il s'agit en général d'histoires relativement courtes (ça peut aller jusqu'à plus de vingt pages quand même) qui ne trouveront probablement jamais leur place ailleurs. Et puis ça me permettra à la fois de présenter mon travail et aussi d'alimenter le blog dans les périodes où il n'y a guère de nouvelles à annoncer. :o)

J'espère que ça vous intéresse en tous cas !

Bonne journée !
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13 juin 2008 5 13 /06 /juin /2008 09:08
Hello !

Et ça continue ! :o)


                                                                                              4


        Neo avait mal à la tête. Des voix chuchotaient autour de lui, bourdonnant dans ses oreilles comme des insectes indésirables, tournoyant autour de lui comme des volutes de brouillard sonore. Sans ouvrir les yeux, Neo tenta de reconnaître le film dont il s’agissait.

            - On dirait qu’il reprend conscience, disait une femme.

            - J’espère que le choc qu’il a pris sur le crâne ne laissera pas de séquelles, répondait un homme. Il faudra lui faire un scanner…

            Neo fronça les sourcils intérieurement. Il ne se souvenait pas de ce film. Il voulut se redresser pour regarder les images, mais retomba sur son oreiller dans un gémissement, le front comme transpercé.

            - Ne bougez pas, souffla une voix douce.

            Neo se rendit brusquement compte que la voix du film s’adressait à lui. Il ouvrit aussitôt les yeux. Il ne s’agissait pas d’un film. C’était la réalité.

            Une jeune femme était penchée sur lui et un homme d’âge mûr se tenait derrière elle. Tous deux le dévisageaient avec bienveillance. Il était couché dans un lit bien plus confortable que celui qu’il avait occupé pendant quinze ans et les murs de la chambre où il se trouvait n’étaient pas gris, mais couverts d’une tapisserie d’un agréable rouge cramoisi. Il n’y avait pas d’écran.

            Neo voulut parler, mais il ne réussit qu’à émettre des sons incompréhensibles même pour lui-même. La main de la jeune femme caressa sa joue.

            - Ne parlez pas, vous avez besoin de repos, fit-elle encore de cette voix merveilleuse. Vous êtes en sécurité ici. Nous sommes des amis de Vladimir Ador, vous n’avez rien à craindre. Ne pensez qu’à vous reposer.

            Neo acquiesça vaguement, un sourire aux lèvres et laissa ses paupières retomber. Il avait réussi, il s’était évadé. Il était libre. Libre, libre, libre… Comme ce mot résonnait joyeusement dans sa tête, tel les cloches de la victoire, Neo se rendormit et pour la première fois depuis des années plongea dans un sommeil sans rêve.

            Lorsqu’il se réveilla, ne sachant trop combien de temps s’était écoulé, il était seul dans la chambre. Son front était encore douloureux, particulièrement quand il bougeait les sourcils, mais il se sentait nettement mieux. Il s’assit prudemment au bord du lit, entièrement nu. Mais comme cela ne provoquait aucune sensation désagréable, il se leva lentement. Il eut un léger vertige, mais celui-ci disparut dès qu’il fit quelques pas.

           Il faisait agréablement chaud dans la pièce et Neo ne prit pas la peine de s’habiller, jouissant de la liberté de la nudité. Il examina rapidement la chambre. Elle ne contenait que peu de meubles, le lit, une table de chevet, une sorte de petit bureau et un fauteuil, mais elle était propre et confortable, le sol couvert d’une épaisse moquette, des tableaux accrochés aux murs. Neo examina ces derniers avec ravissement. Toutes les peintures représentaient l’océan. La liberté.

            Ne pouvant s’empêcher de sourire, Neo se dirigea vers les deux grandes fenêtres fermées par des rideaux. Il écarta l’un d’eux et une vive lumière pénétra aussitôt dans la pièce, bouquet de rayons solaires qui avaient réussi à transpercer les nuages de pollution. Neo eut la sensation délicieuse de sentir la lumière caresser sa peau. S’approchant encore davantage de la fenêtre, il plongea le regard à l’extérieur.

            A en juger par l’enseigne qui clignotait juste en dessous de sa fenêtre, il se trouvait dans un hôtel. Le bâtiment se trouvait dans une rue très fréquentée et une foule bigarrée se pressait sur les trottoirs tandis que des voitures, des camions, des deux-roues, se croisaient sur la large route. Neo demeura comme fasciné. Il n’avait jamais assisté à un spectacle pareil ailleurs que sur l’écran. Bouillant de joie, il entrouvrit la fenêtre pour capter également les bruits et les odeurs de cette merveille : une société humaine en activité.

            Du mouvement de toutes parts, des voix, des explosions de moteurs, des bruits pétaradants, des cris, des rires, l’odeur d’un stand de hot-dogs installé juste à l’entrée de l’hôtel, le bruissement de la foule en marche, les couleurs des vêtements, rouges, bleus, verts, noirs, les visages des gens, affairés, flânant, bavardant avec un ami, achetant un journal, sortant d’un magasin chargés de paquets, mangeant un sandwich dégoulinant, trébuchant, rougissant, apostrophant les voitures, les deux-roues qui passaient trop près du trottoir.

            Neo observait tout avec l’avidité d’un affamé, à la fois impressionné, exalté et désespéré, se rendant compte de tout ce dont on l’avait privé pendant des années. Il fixait les passants avec une intensité proche de l’amour, une sorte de passion qui s’emparait de lui, une identification brutale et totale avec ces êtres libres qui allaient et venaient sans avoir la moindre conscience de leur chance. Neo se mit à les aimer autant qu’il s’aimait lui-même, car désormais il était comme eux, il était libre.

            Cette pensée répandait en lui une douce chaleur lorsque la porte de la chambre s’ouvrit soudain. Neo se retourna d’un bond. La jeune femme qu’il avait aperçue à son réveil se tenait à l’entrée, le regardant avec un sourire amusé.

            - Bonjour ! lança-t-elle joyeusement.

            Neo ouvrait la bouche pour lui répondre lorsqu’il réalisa qu’il était entièrement nu. Sans réellement comprendre pourquoi il n’en éprouva aucune gêne. Il lui rendit son sourire et son salut.

            - Je vous ai apporté des vêtements, poursuivit la jeune femme en jetant un sac en plastique sur le lit. Mais si vous vous sentez plus à l’aise comme ça… ! ajouta-t-elle avec un rire.

            Neo sourit encore. Tout lui paraissait merveilleux en ces instants.

            - Vous avez un rire superbe, murmura-t-il.

            La jeune femme rougit et détourna le regard.

            - Habillez-vous, monsieur Slave, répliqua-t-elle d’un ton de faux reproche. J’ai beaucoup de mal à me concentrer dans de telles conditions…

            Neo acquiesça et récupéra le sac. Il en tira un caleçon, un jean, un pull, des chaussettes et des chaussures. Il examina les vêtements comme s’il en voyait pour la première fois et les enfila lentement, avec un véritable plaisir. Puis il ôta le bandage qui entourait sa tête, découvrant qu’un pansement couvrait déjà son front. Il évita d’y toucher et jugea qu’il était prêt. La jeune femme lui tournait le dos, regardant par la fenêtre, dans l’exacte position où il s’était trouvé quelques minutes plus tôt. Il s’approcha d’elle silencieusement, posa une main sur son épaule et elle se retourna dans un léger sursaut. Elle s’écarta de lui et le jaugea de la tête aux pieds.

            - Contente de voir que c’est votre taille ! commenta-t-elle.

            - Je ne connais même pas votre nom…, souffla l’écrivain.

            Elle sourit.

            - Katrin.

            - Katrin… ?

            - Mon nom n’a pas d’importance. Vous devez me faire confiance, monsieur Slave. Je suis une amie de Vladimir. J’ai été chargée par notre groupe de vous faire visiter la ville et de veiller à ce que vous ne manquiez de rien, afin que vous puissiez jouir de votre nouvelle liberté.

            - C’est très gentil de votre part, répondit l’écrivain en plongeant ses yeux dans ceux de la jeune femme.

            Il voulut s’approcher d’elle à nouveau, mais elle s’esquiva encore. Neo retint un soupir. Il allait devoir être patient. Cependant Katrin avait gagné la porte.

            - Vous venez ? lança-t-elle. Il est bientôt midi et j’ai réservé une table dans un petit restaurant français ! Vous verrez, leur cuisine est délicieuse !

            Neo eut une grimace amusée.

            - Ce sera toujours meilleur que ce que j’ai l’habitude de manger ! répliqua-t-il.

            - La cantine des sections de production, hein ? fit la jeune femme en riant. Moi non plus je ne supportais plus leur mixture à la fin !

            - Vous avez travaillé là-bas ? fit Neo avec stupéfaction.

            Un instant le regard de Katrin se voila.

            - Malheureusement…, murmura-t-elle.

            Elle parut se forcer à retrouver sa bonne humeur.

            - Mais on m’en a sortie ! Comme vous ! Et maintenant, venez ou nous allons être en retard !

            Elle ouvrit la porte et sortit. Neo jeta encore un regard joyeux sur la chambre et lui emboîta le pas.

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12 juin 2008 4 12 /06 /juin /2008 09:38
Et voilà la suite !

Bonne journée !
@+



                                                                                                    3

           Neo frémit en entendant le bruit de pas se rapprocher. Il se ratatina encore plus dans l’obscurité, s’efforçant de respirer le plus silencieusement possible, tandis que le garde s’approchait des bennes. Les doigts crispés sur la corde qu’il avait bien trouvée à la place prévue, Neo entendit le garde allumer une cigarette et jeter le paquet vide parmi les autres déchets. L’homme poussa un long soupir et resta un moment à fumer, immobile, à moins de trois mètres de Neo. Le silence était tel que le fugitif pouvait entendre le grésillement de la cigarette et commençait à craindre que les battements effrénés de son cœur ne le trahissent.

            Cependant il y eut soudain un petit bip et une voix nasillarde sortit de l’émetteur accroché à la ceinture du garde, lui ordonnant d’aller vérifier un autre secteur. L’homme soupira encore, jeta sa cigarette à demi-consumée et s’éloigna en grommelant des paroles inintelligibles. Neo attendit un long moment, puis rampa dans l’ombre et attrapa prudemment le mégot. Il retourna aussitôt dans les ténèbres protectrices et se mit à fumer nerveusement la moitié de cigarette. L’odeur du tabac avait au moins l’avantage de couvrir les relents puants qui montaient des bennes. A en juger par le fumet appétissant, Neo devinait que les ordures devaient provenir de la cantine. A cette pensée un haut-le-cœur le saisit et il s’efforça d’en détourner son esprit.

            Recroquevillé dans le noir, il songeait que jusqu’à présent tout s’était plutôt bien passé. Mais presque aussitôt il lui apparut qu’il n’avait encore rien fait et que le pire restait à venir. L’envie de renoncer s’empara brusquement de lui. Renoncer, oui, ne pas courir ce risque, ne pas s’exposer ainsi. Après tout Vladimir s’était peut-être trompé, ou lui avait peut-être menti. Peut-être ne risquait-il rien en retournant tranquillement dans sa chambre, en retrouvant la sécurité de l’habitude. La mortelle sécurité de l’habitude…

           A la lueur rougeoyante de la braise de sa cigarette, Neo jeta un œil à sa montre. 23h10. Il était trop tard pour reculer. Il fallait aller jusqu’au bout, prouver qu’il était un homme et pas seulement une machine à fabriquer de la créativine. Oui, prouver qu’il existait et qu’il avait une volonté propre. Résister.

            Neo écrasa la cigarette contre la benne derrière laquelle il se cachait et enroula la corde autour de son bras, de façon à pouvoir lancer efficacement le grappin. Non sans présence d’esprit il n’était pas resté inactif pendant sa longue attente et en avait profité pour faire des nœuds à intervalles réguliers sur la corde afin de faciliter son ascension. Etant donné sa constitution physique, privée d’activité sportive depuis toujours et de nourriture depuis des semaines, il allait avoir énormément besoin de cette aide. Escalader le mur d’enceinte serait loin d’être une mince affaire.

            Moitié à quatre pattes, moitié rampant, Neo s’extirpa lentement de sa cachette. Un large regard circulaire lui confirma qu’il n’y avait personne aux alentours. Il se releva et courut jusqu’au mur d’enceinte haut de plus de cinq mètres. D’une main tremblante, il saisit le grappin et le lança vers le ciel. Il y eut un bruit mate comme le métal cognait les briques, puis le grappin retomba brusquement. Surpris, Neo n’eut pas le temps de s’écarter et l’instrument vint frapper durement son épaule. Il se mordit le poing pour étouffer un cri et resta un instant prostré par la douleur, appuyé contre le mur.

            Mais peu à peu son esprit s’éclaircit et la peur noua à nouveau son ventre. Il regarda longuement autour de lui, ne vit personne et ramassa le grappin avec un juron sourd. La seconde tentative fut la bonne. Neo se suspendit à la corde et elle tint bon. Il entreprit aussitôt de grimper malgré la souffrance lancinante qui partait de son épaule et irradiait dans sa nuque. Progressant tant bien que mal, il parvint à atteindre le haut du mur.

            A califourchon au sommet, il s’accorda un instant de pause, massant son épaule endolorie, puis entreprit de ramener la corde vers lui, pour la laisser pendre de l’autre côté. Il n’avait pas tiré un mètre de corde qu’un projecteur se braquait soudain sur lui, l’éblouissant violemment. Il sursauta brusquement, manquant de peu de tomber.

            - Ne bougez plus ! hurla une voix stridente tandis qu’une alarme se déclenchait. Ne bougez plus !

            Pris de panique, Neo abandonna la corde et se suspendit par les mains, laissant son corps pendre dans le vide. Il ferma les yeux et lâcha. Il atterrit brutalement sur des pavés, roulant sur le sol, se cognant la tête contre le mur. Sans comprendre d’où lui venait une telle énergie, il se releva et se mit à courir dans la direction indiquée par Vladimir, ignorant le sang qui coulait dans ses yeux d’une profonde coupure au front.

            Il avait parcouru une cinquante de mètres, entendant s’ouvrir derrière lui la grande porte d’enceinte, puis les motos des gardes se lancer à sa poursuite, lorsqu’un lampadaire à la lueur tremblotante lui dévoila qu’il était arrivé devant le magasin de chaussures. Il accéléra encore l’allure et tourna dans la première rue à droite au moment où les motos le rejoignaient. Tandis que les gardes manœuvraient leurs engins pour s’engager à leur tour dans la ruelle, Neo fut à nouveau ébloui par la lumière de deux phares.

            Sans qu’il puisse rien distinguer de plus que des ombres, il sentit que quelqu’un attrapait sa main et le poussait dans la voiture. Celle-ci démarra en trombe, fonçant vers les motards. Les gardes tentèrent de se ranger, mais l’un d’eux percuta frontalement la voiture. Sa moto passa sous les roues du lourd véhicule, et l’homme s’écrasa contre le pare-brise dans un hurlement, avant de passer par-dessus le toit.

            En se retournant, Neo le vit par la vitre arrière, inerte sur le sol tandis que ses collègues se précipitaient vers lui. L’écrivain se rendit brusquement compte qu’il était si essoufflé qu’il n’arrivait plus à respirer. Il étouffait malgré tous ses efforts pour contrôler ses inspirations. Paniqué, il lutta un moment, avant de s’évanouir.

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10 juin 2008 2 10 /06 /juin /2008 12:14
Hello !

Voici la suite (et non la fin) de la nouvelle ! :o)

Bonne journée !
@+



                                                                                                   2

           Neo posa les yeux sur la bouillie dans son assiette et détourna aussitôt le regard, saisi d’une insupportable nausée. Il ne pouvait pas avaler ça, c’était totalement répugnant. Les autres autour de lui ne semblaient pas s’en rendre compte et mangeaient leur part dans un silence relatif, ne paraissant trouver la mixture ni bonne, ni mauvaise, se contentant d’accomplir un acte nécessaire pour leur corps mais dont leur esprit était détaché. Il y avait quelques conversations à voix basse, la plupart portant sur l’œuvre en cours des participants, chacun parlant de lui-même sans écouter l’autre. Neo se demandait si ces gens étaient réellement aveugles à la différence entre leur vie et ce qu’ils écrivaient, ou si leur apparent détachement n’était qu’une défense pour ne pas céder à l’autodestruction. Il enviait leur sérénité.

            Neo reporta les yeux sur son repas. Il devait manger. Non seulement parce que s’il continuait à se priver il finirait par tomber d’inanition, mais aussi parce que tôt ou tard la façon dont il se débarrassait de la nourriture avant le contrôle des assiettes serait découverte. La bouillie était composée d’éléments supposés faciliter la production de créativine, refuser de la manger revenait à refuser de participer à l’effort de production. Ce genre de manquements était extrêmement mal vu. Recyclage…

            Tout en nouant encore davantage son estomac, la peur poussa Neo à lever une cuillère vers ses lèvres. Il fallait manger, pour survivre. Il prit une profonde inspiration et avala la mixture sans même la mâcher, essayant d’éviter son goût autant que possible. Mais le relent âpre envahit brutalement sa gorge et son nez. Il porta la main à sa bouche et quitta brusquement sa place, se précipitant vers les toilettes.

            Par chance elles étaient vides. Il s’enferma dans le premier cabinet, se pencha sur la cuvette sale et se mit à vomir, s’appuyant au mur d’une main, l’autre crispée sur son estomac. La bile brûla tout son œsophage et il eut l’impression de régurgiter ses entrailles. Il s’étouffa à moitié, aveuglé de larmes, et finit par se laisser tomber à côté de la cuvette, appuyant son front sur la pierre froide et puante.

            Au bout d’un long moment, lorsque son estomac parut enfin être redescendu à sa place, Neo prit son courage à deux mains et tituba hors du cabinet, jusqu’aux lavabos. Il se rinça la bouche un nombre incalculable de fois, ayant la sensation écœurante que le goût ignoble de la bile s’était incrusté dans ses dents, et se passa de l’eau sur le visage, avant de se redresser enfin. Ce ne fut qu’à cet instant-là qu’il s’aperçut que quelqu’un l’observait depuis la porte.

            Une véritable terreur le saisit et il pivota lentement sur lui-même, se tournant vers l’intrus. L’homme était appuyé, dos à la porte, les bras croisés, et le regardait avec un mélange de tristesse et de pitié. Il s’agissait de Vladimir Ador, son chef de section. Neo eut un mouvement de recul, mais il était trop tard, il avait été vu en pleine crise. Il baissa les yeux et attendit la sentence avec résignation.

            - Monsieur Slave…, soupira l’homme. C’est bien ce que je craignais…

            Le ton qu’avait employé le chef de section était si inhabituel que Neo releva la tête pour le regarder. C’était bien quelque chose comme de la révolte qui miroitait dans les yeux de Vladimir.

            - Nous n’avons que peu de temps, poursuivit ce dernier. Rester trop longtemps seuls ici pourrait être suspect. J’irai donc droit au but : j’ai une très mauvaise nouvelle pour vous, monsieur Slave.

            - Une mauvaise nouvelle ? répéta Neo d’une voix étranglée, commençant à peine à se rendre compte que pour la première fois Vladimir s’adressait à lui en tant qu’individu et plus comme à un numéro parmi d’autres.

            - Malheureusement oui, acquiesça l’homme. Depuis quelque temps, les Lecteurs ont signalé que vos œuvres se ressemblaient toutes et de fait votre taux de créativine baisse chaque jour. Vous n’êtes plus assez productif, monsieur Slave. Vous allez être recyclé.

            Neo eut un long frisson, incapable de dire quoi que ce soit. Vladimir s’approcha de lui, posa une main lourde sur son épaule et plongea son regard dans le sien.

            - Je peux vous aider à échapper à ce sort, murmura-t-il. Je peux vous aider à vous évader d’ici, à retourner dans le monde extérieur, à être libre à nouveau.

            Neo fronça les sourcils, presque choqué.

            - Vous pourriez… ? Mais pourquoi prendriez-vous un tel risque… ? Pourquoi feriez-vous ça ?

            Vladimir s’approcha encore davantage de lui, collant presque sa bouche contre l’oreille de Neo.

            - Parce que j’appartiens à un groupe qui veut en finir avec la dictature de la créativine, parce que je suis infiltré ici pour permettre des évasions et pour étudier le système, afin de le détruire… Faîtes-moi confiance, monsieur Slave. Que pouvez-vous risquer de pire que d’être recyclé ?

            Neo frissonna encore et recula, la proximité du corps de Vladimir le mettant profondément mal à l’aise. Il se détourna, s’appuya sur un des lavabos et se regarda dans le miroir comme il l’avait fait cinq heures plus tôt en se levant. Echapper à tout ceci ? Il en rêvait depuis si longtemps. Mais était-ce réellement possible ? Est-ce que tout ceci était réel ? Est-ce qu’on ne cherchait pas à le piéger ?

            Il tourna un regard méfiant vers Vladimir. L’homme l’observait tranquillement, semblant certain de la décision qu’il allait prendre. Evidemment. Il n’y avait pas de choix à faire, à moins que l’on considère la vie et la mort comme deux options équivalentes. Neo plongea son regard au plus profond de son âme. Mourir en essayant de sortir d’ici. Oui, voilà qui était digne des centaines de héros qui avaient déjà défilé dans les pages de ses romans écrits au nom de la productivité. Il avait enfin l’occasion de se montrer à sa propre hauteur.

            Neo se tourna à nouveau vers Vladimir. L’homme lui souriait.

            - Que dois-je faire ? demanda l’écrivain d’une voix mal assurée, mais décidée.

            - Votre recyclage doit avoir lieu cette nuit, expliqua rapidement le chef de section. Ils viendront vous chercher dans votre chambre, il ne faut donc pas que vous rentriez dans les immeubles, car une fois enfermé à l’intérieur, il vous serait impossible d’en ressortir. Ce soir, lorsque tout le monde traversera la cour, vous vous cacherez derrière les bennes à droite de la porte. Vous y trouverez une corde munie d’un grappin. Attendez sans bruit et escaladez le mur d’enceinte à 23h15 précises. Je ferai en sorte de détourner l’attention des gardes à ce moment-là. Une fois de l’autre côté, longez le mur jusqu’à un magasin de chaussures et prenez la rue à droite. Une voiture vous y attendra. Des amis à moi qui prendront soin de vous. Maintenant, retournez dans la cantine et mangez. Vous aurez besoin de forces cette nuit.

            Neo eut un hochement de tête incertain et tendit la main à l’homme.

            - Merci…

            Vladimir lui sourit encore et serra chaleureusement sa main.

            - J’ai adoré vos premiers bouquins, fit-il pour toute réponse.

            Il accorda encore à Neo un clin d’œil et tourna les talons.

            - Soyez prudent, souffla-t-il avant de disparaître.

            Neo déglutit, jeta encore un œil à son reflet, essaya de se composer un visage un peu moins hagard et quitta à son tour les toilettes. Son assiette pleine était toujours à la même place. La bouillie avait cessé de fumer depuis un moment. Une tentative du bout des lèvres confirma à Neo qu’elle était froide, donc encore plus ignoble. Mais il fallait manger. Dans un effort surhumain, il s’obligea à avaler une première cuillère.

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Présentation

  • : Les Lunes de Sang
  • : Mise à jour : pour retrouver toutes mes infos, rendez-vous désormais sur www.anaiscros.fr Je suis auteur et le but de ce blog est de communiquer avec mes lecteurs, autour de ma série de fantasy Les Lunes de Sang et de mon roman fantastique La Mer des Songes, mais aussi de futures publications éventuelles, de manifestations auxquelles j'aurais l'occasion de participer, etc. Pour en savoir plus sur mes romans, n'hésitez pas à cliquer sur les catégories qui portent leur nom. Et pour me contacter, laissez un commentaire. Je reviendrai vers vous dès que possible. Merci de votre visite !
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