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11 octobre 2008 6 11 /10 /octobre /2008 08:55
Bon week-end à tous !
A lundi !


                                                                                            32

Outroupistache sortit aussitôt, fit apparaître son rouet de nulle part et commença immédiatement à filer les rêves qu’il avait récupérés. Je m’effondrai à genoux sur le seuil de l’escalier, le dos parcouru d’insupportables crampes. Malgré la douleur je ne pouvais cesser de fixer le gnome qui s’activait avec l’énergie du désespoir. Je sentis bientôt derrière moi la présence du vieux concierge et l’entendis vaguement pousser une exclamation tout à la fois terrifiée et émerveillée.

Outroupistache fila rapidement l’ensemble des rêves et fit ensuite apparaître un petit métier à tisser taillé dans le bois le plus exquis. Il disposa les fils dessus et commença à les tisser, formant rapidement une trame colorée et brillante. Il travailla un moment avec une concentration intense, ses mains s’agitant follement, rapides et précises comme celles d’un musicien. Et soudain un brouillard diffus commença à s’élever du tissage, étrange fumée ondulante et multicolore qui paraissait attirer la lumière des étoiles. Les volutes de magie se mêlèrent à l’obscure clareté, formant un délicat nuage où les couleurs se fondaient les unes dans les autres, s’adoucissant, scintillant, se mélangeant comme si elles n’avaient jamais été séparées, chatoyantes et multiples, infinies et variées.

Tout en s’appliquant à sa tâche avec quelque chose qui ressemblait de plus en plus à de l’allégresse, Outroupistache se mit à chanter dans une langue inconnue et je vis les mots qui tombaient de sa bouche s’envoler comme de petits papillons invisibles et rejoindre les rêves entremêlés, les enveloppant, les embrassant, les pénétrant, comme des amants trop longtemps séparés. Et peu à peu le nuage d’imaginaire prit la forme d’un arbre à la fois touffu et élancé. Je souris sans m’en rendre compte, admirant le nombre inifini de ses branches. Les possibles…

Cependant Outroupistache continuait à s’activer et l’arbre prenait lentement des proportions gigantesques, envahissant tout l’espace du ciel, la Lune miroitant derrière ses branches. C’était le spectacle le plus extraordinaire et le plus magnifique auquel j’avais jamais assisté. Et soudain Outroupistache repoussa son métier à tisser et se mit à danser sur le toit, chantant joyeusement, sautant de tuile en tuile avec enthousiasme. Il fit des cabrioles un long moment et le vieux concierge et moi ne pûmes nous empêcher de rire. Nous eûmes la surprise de voir nos rires s’envoler à leur tour. Outroupistache jongla avec un instant, puis les envoya rejoindre l’imaginaire dans un geste de prestidigitateur. Le gnome s’immobilisa alors, leva les mains au ciel et cria un unique mot. L’arbre commença aussitôt à se dissiper, disparaissant pour mieux envahir le moindre recoin du monde. Et tout fut fini.

Je ne saurai décrire le silence qui suivit. Des mots comme parfait, splendide ou incroyablement riche n’en rendraient que partiellement compte. Inoubliable conviendrait peut-être, car c’est la seule chose qui était certaine à son propos. Je n’ai jamais pu l’oublier.

Outroupistache resta un long moment à sourire aux étoiles, puis se tourna lentement vers moi.

- Tout est rentré dans l’ordre ! murmura-t-il joyeusement. L’Imaginaire a retrouvé sa place !

Il s’approcha de moi et profita de ce que j’étais à genoux pour déposer deux bises sonores sur mes joues.

- Merci de votre aide, mademoiselle ! fit-il encore. Je vais partir maintenant, mais avant je dois vous faire une recommandation. J’aurais pu le renvoyer directement au Pays Imaginaire, mais vous méritiez bien une récompense pour ce que vous avez fait. Cependant je vous mets en garde, il doit être parti avant le matin ou il ne retrouvera plus jamais sa place au pays de Peter Pan. Il ne faudra pas chercher à le retenir. Vous me comprenez ?

J’acquiesça à contrecoeur et il me sourit gentiment.

- Peut-être nous reverrons-nous un jour, ajouta-t-il amicalement. En attendant adieu ! Et surtout préservez ces rêveries qui font la richesse de votre imaginaire !

Sur ces mots Outroupistache recula dans un pas de danse, salua le concierge d’un hochement de tête malicieux et s’envola soudain, se transformant rapidement en étoile filante.

Je soupirai à l’idée de la séparation déchirante qui m’attendait maintenant, avant de songer que j’ignorais quelle serait la réaction de James en constatant qu’il était toujours présent ici. Prenant mon courage à deux mains je me levai avec effort, laissant échapper un gémissement. Mon dos me faisait un mal de chien et ma gorge était douloureuse. Je pouvais presque encore sentir les doigts qui l’avaient écrasée. Cela me fit frissonner.

Soudain mon regard croisa celui du concierge. Le vieil homme semblait se demander s’il était en train de rêver. Je lui souris.

- Je crois que vous devriez retourner vous coucher, murmurai-je.

Il me regarda avec surprise, puis hocha la tête avec un sourire enfantin.

- Je crois que je vais dormir comme un bébé, répondit-il joyeusement.

Je ne pris pas la peine de lui dire à quel point la comparaison était juste et le poussai doucement devant moi, refermant la porte à clé avant de lui tendre le trousseau. Nous descendîmes quelques marches et je m’immobilisai, brusquement timide.

James était assis au milieu de l’escalier, son crochet pensivement appuyé contre ses lèvres, perdu dans ses réflexions. Il se leva brusquement quand le concierge passa à côté de lui avec un sourire un peu craintif, mais ne fit rien pour le retenir. A la place il se tourna lentement vers moi. Son expression était indéchiffrable, son attitude hautaine et arrogante, et ses yeux avaient retrouvé leur couleur bleu glacée. Crochet était de retour.

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10 octobre 2008 5 10 /10 /octobre /2008 09:31
Bonne journée !
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                                                                       31


Il s’était adossé au mur, regardant autour de lui avec un début de panique, la main déjà sur son pistolet tandis que son crochet menaçait toujours le vieil homme qui n’osait plus bouger, à peine respirer.

- James… ? murmurai-je avec inquiétude.

Il me fit signe de me taire avec colère et prêta l’oreille à la nuit. Je fis de même, mais je ne perçus strictement rien et mon inquiétude ne fit qu’augmenter. Il se tourna soudain vers moi et je frémis en voyant la peur dans ses yeux bleus.

- Tu as entendu ? chuchota-t-il avec angoisse.

- Entendu quoi ? demandai-je anxieusement.

- Tu n’entends pas ? insista-t-il. Tic tac… tic tac… Ce maudit crocodile ! Il m’a retrouvé !

Il se mit à jeter des regards terrifiés autour de lui, comme s’il s’attendait à voir le crocodile surgir dans l’escalier. Je redescendis les quelques marches qui nous séparaient.

- James, tentai-je de le raisonner, il n’y a pas de tic tac, je n’entends rien, je t’assure. C’est la fièvre qui…

Il me dévisagea avec fureur. Et soudain, d’une manière totalement inattendue, il se tourna vers le concierge et l’immobilisa contre le mur.

- C’est vous qui l’avez appelé, n’est-ce pas ? gronda-t-il. Vous ! Je parie que vous êtes un complice de Pan ! Mais vous ne m’aurez pas aussi facilement ! Je vais vous tuer !

Joignant le geste à la parole, il leva son crochet, s’apprêtant à frapper. Le vieil homme laissa échapper un gémissement de terreur, ses jambes se dérobant sous lui. Je me précipitai. Dieu merci, James était sérieusement affaibli par la fièvre sans quoi je n’aurai jamais pu retenir son bras. Je l’empêchai de tuer le vieil homme, mais il se retourna soudain contre moi, chercha à me frapper, me fit basculer en arrière. Je tombai lourdement sur l’escalier, les marches me rentrant dans le dos, et il m’écrasa de tout son poids. Je faillis hurler de douleur, mais je ne parvins pas à prendre assez d’air pour le faire. Les larmes jaillirent de mes yeux sans que je puisse les empêcher et je me mis à trembler. James ne parut pas s’en rendre compte.

Appuyé sur moi, il regardait autour de lui d’un air traqué. Il tourna soudain vers moi ses yeux envahis de cet horrible brouillard rouge. Son visage était si proche du mien que je pouvais sentir la chaleur qu’irradiait sa peau et l’odeur rance de la sueur maladive qui inondait tout son corps. La fièvre le dévorait.

- James, je t’en prie ! parvins-je à gémir.

Je voulus le repousser, mais sa main se referma brusquement sur ma gorge, coupant ma respiration.

- Tais-toi ! souffla-t-il.

Malgré son état je fus incapable de déserrer l’étau de ses doigts, étouffant à moitié. Des étoiles commençaient à danser devant mes yeux lorsqu’il me relâcha brusquement, se redressant à demi, portant la main à son front. J’avalai aussitôt une immense goulée d’air, toussai, frémissante. Il secouait la tête, une expression paniquée sur son visage ravagé par la fièvre.

- Je l’entends ! chuchotait-il. C’est impossible ! J’ai tué ce maudit crocodile ! Je l’ai éventré quand nous sommes tombés à l’eau ! Il n’a pas pu revenir ! Mais… Tic tac tic tac… je l’entends ! Par tous les démons de l’Enfer !

Je commençai tout juste à reprendre ma respiration lorsque ses yeux se posèrent à nouveau sur moi. Il parut avoir du mal à se rappeler qui j’étais, puis pointa soudain vers moi un crochet menaçant.

- C’est toi qui m’as trahi, n’est-ce pas ? lança-t-il avec rage. C’est toi qui as dit à Pan de ramener ce crocodile ici ! Je… je vais te tuer !

Il allait se jeter sur moi, mais une violente douleur parut soudain le transpercer et il s’effondra sans un son. Je voulus me précipiter pour l’aider, mais une voix impérieuse m’en empêcha.

- Mademoiselle ! Il faut que je sorte !

Je dévisageai Outroupistache quelques secondes sans comprendre, puis me relevai aussitôt. Je ne sais où je trouvai la force nécessaire, mais j’arrachai ses clés au concierge médusé, enjambai le corps immobile de James, escaladai rapidement les dernières marches et ouvris la porte qui menait sur le toit.

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9 octobre 2008 4 09 /10 /octobre /2008 09:21
Bonne journée !
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                                                                                        30


Nous nous immobilisâmes aussitôt. Je tournai un regard consterné vers mes compagnons. Outroupistache avait froncé les sourcils, mais James affichait un sourire de mauvais augure pour notre agresseur.

- Retournez-vous lentement, ajouta la voix.

Nous obéîmes et nous retrouvâmes face à un homme d’une bonne soixante d’années qui pointait un fusil sur nous. Il portait une robe de chambre qu’il avait apparement enfilée avec précipitation, ses cheveux étaient décoiffés et ses yeux encore gonflés de sommeil. Une porte ouverte derrière lui laissait entrevoir l’intérieur d’une petite chambre. Il s’agissait probablement d’un genre de concierge. Il était plutôt grand et bien bâti, mais il semblait bien plus effrayé que nous et luttait pour se donner bonne contenance.

- Les mains en l’air ! fit-il encore en ayant l’air de se demander si un tel ordre était réellement approprié.

J’hésitai à obéir. Ce ne fut pas le cas de James. Il leva tranquillement les bras et l’homme écarquilla les yeux en découvrant son crochet.

- Bon dieu mais qui êtes-vous ? s’exclama le vieil homme d’une voix sourde.

James eut un sourire dangereux. Il fit un pas en avant, s’arrêta au milieu du second. Son sourire se transforma un instant en grimace et je crus qu’il allait s’effondrer, mais il possédait d’incroyables ressources. Il se ressaisit et continua à avancer nonchalamment vers le vieil homme. Celui-ci reculait au fur et à mesure, ne sachant visiblement comment réagir. Lorsqu’il fut coincé contre le mur, il redressa son arme et en menaça James.

- N’avancez plus !

James désobéit allègrement.

- Laissez-moi me présenter, fit-il d’un ton tout à la fois aimable et arrogant. Capitaine James Crochet.

Il fit mine de tendre la main au vieil homme et écarta brusquement son fusil. Le temps d’un battement de cil et le concierge se retrouva plaqué contre le mur, un crochet sous la gorge, incapable d’articuler un son, les yeux exorbités par la terreur. Je me précipitai.

- James ! murmurai-je. Tu ne vas pas le tuer, n’est-ce pas ?

Crochet haussa les épaules.

- Et pourquoi pas ? répliqua-t-il avec un sourire à l’adresse du vieil homme. Je n’ai tué personne ces derniers temps, ça commence à me manquer.

- James ! me révoltai-je.

Il m’ignora et je compris que j’employais une mauvaise méthode.

- Il doit savoir où sont les enfants, repris-je d’un ton plus mesuré, il pourra nous conduire sur le toit, nous avons besoin de lui.

Cette fois il parut hésiter.

- Vite ! nous pressa Outroupistache. Nous devons nous hâter avant que quelqu’un d’autre ne se réveille !

Crochet ferma quelques secondes les yeux, puis James arracha soudain le vieil homme du mur, son crochet toujours appuyé sur sa gorge et le tint devant lui.

- Menez-nous aux enfants sur-le-champ ! gronda-t-il à son oreille.

Je vis que le vieil homme allait protester et m’empressai d’intervenir.

- Je vous promets que nous ne leur voulons pas de mal, monsieur ! murmurai-je. Vous devez me croire, nous avons simplement besoin d’eux ! Nous ne les toucherons pas !

Le concierge hésitait encore, mais James accentua sa pression sur sa gorge.

- Je vous déconseille de m’impatienter ! menaça-t-il.

Je lançai un regard suppliant à notre prisonnier et il finit par acquiescer tant bien que mal. Il nous désigna l’escalier et nous nous empressâmes de le gravir, éteignant à nouveau la lumière. Nous arrivâmes dans un long couloir avec d’un côté une rangée de fenêtres qui donnaient sur un grand jardin et laissaient entrer la lumière de la Lune, et de l’autre côté une rangée de portes.

- Les chambres des enfants…, murmura le vieil homme d’une voix rauque.

Nous nous dirigeâmes vers la première porte. Je me tournai encore vers le concierge avant d’ouvrir.

- Tout va bien se passer, tentai-je de le rassurer.

Ou était-ce moi-même que je voulais rassurer ? Le vieil homme me dévisagea avec incompréhension et je me détournai. J’ouvris lentement la porte.

La chambre était assez grande et contenait une dizaine de lits disposés par paires superposées. Dans chacun dormait un enfant entre cinq et dix ans. Outroupistache se faufila dans la pièce, évitant les jouets et les vêtements qui trainaient sur le sol. Il grimpa sur le premier lit et se pencha sur un premier enfant. Sa main fit quelques passes étranges au-dessus de la tête du petit garçon endormi et se mit bientôt à en tirer un long fil doré et scintillant qui s’enroula autour de son bras, semblable à une traînée d’étoile filante. J’entendis le vieil homme étouffer une exclamation, mais fus incapable de me détourner pour le regarder.

Outroupistache escalada ensuite habilement les barres de bois jusqu’au lit supérieur et répéta la même opération. Un autre fil ondulant vint rejoindre le premier, d’une couleur rouge à la fois brillante et douce. Il parcourut de la même manière tous les lits de la chambre, capturant tous les rêves mouvants en longs fils colorés et scintillants comme des ailes de fée qu’il mettait de côté autour de son bras.

Nous passâmes ainsi d’une chambre à l’autre jusqu’à ce qu’Outroupistache se déclare satisfait, son bras disparaissant sous un arc-en-ciel étincelant. Le vieil homme ne protesta plus le moins du monde lorsque nous lui demandâmes de nous conduire jusqu’au toit. C’était sans doute mieux, car je voyais que James commençait à laisser voir des signes de faiblesse grandissants.

Le concierge nous fit monter un nouvel escalier, puis ouvrit grâce à ses clés une porte tout au bout d’un couloir, dévoilant encore quelques marches. Nous nous autorisâmes à allumer la lumière maintenant que nous étions loin des chambres et entreprîmes de monter encore. Nous étions au milieu de l’escalier losque James s’arrêta brusquement.

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8 octobre 2008 3 08 /10 /octobre /2008 09:51
On s'approche de la fin... ;o)
Bonne journée !
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                                                                                                    29

            Le reste du trajet s’écoula dans le calme. Outroupistache ne parlait plus, à nouveau plongé dans ses pensées. James avait laissé sa tête rouler sur l’appuie-tête, les yeux fermés, et sa main reposait sur la mienne au-dessus du levier de vitesse, grande, brûlante. Enfin un panneau indiqua la sortie que nous devions prendre et même, à mon grand soulagement, la direction de l’orphelinat.

 James retira sa main et je rétrogradai progressivement. Quelques tours de rond-points et j’accélérai à nouveau sur une ligne droite. Je roulais si vite que je faillis rater la petite route qui menait à l’orphelinat, obligée de freiner brutalement. Outroupistache se cogna brutalement dans le siège devant lui, grognant, et James me fit remarquer sarcastiquement qu’il comprenait mieux pourquoi j’avais insisté pour qu’il mette sa ceinture. J’accueillis cette réflexion avec un mélange d’énervement et de satisfaction. Tant qu’il se montrait désagréable cela signifiait qu’il avait l’esprit clair même si j’aurais volontiers accueilli une autre manifestation de son état. Outroupistache m’affirma qu’il n’avait rien et nous arrivâmes bientôt devant un large portail en métal fermé par une chaîne cadenassée.

L’orphelinat était installé dans un ancien château et admnistrait également toutes les anciennes dépendances, ce qui constituait un assez grand domaine qui semblait entièrement ceint par un mur haut de plus de deux mètres. J’allais proposer à mes compagnons d’en faire le tour pour trouver une faille, mais James sortit soudain de la voiture, non sans s’être débattu contre la ceinture avec impatience. Il se dirigea droit vers la grille. A la lumière des phares nous le vîmes saisir le cadenas, le tourner vers lui, puis abattre brusquement son crochet dessus. Deux coups suffirent pour que le cadenas cède et que la chaîne glisse lentement sur le sol. Le portail s’ouvrit et James nous fit signe de le rejoindre.

Je garai la voiture sur le bord de la route et coupai le moteur. Nous étions en train d’entrer par infraction, de commettre un acte illégal, et pour la première fois je me rendais compte des possibles conséquences de tout ceci. Mais ce n’était guère le moment de s’attarder là-dessus. James se dirigeait déjà vers la masse sombre du petit château, précédé d’Outroupistache. Je me hâtai de leur emboîter le pas.

Il était plus d’une heure du matin et tout semblait calme dans le bâtiment. La nuit était claire, la pleine Lune offrant sa face ronde au monde, et il faisait froid, une légère brise soulevant les cheveux de James. Malgré la fraîcheur, je le vis essuyer la sueur sur son front et cela ne fit que renforcer mon inquiétude.

Nous arrivâmes enfin devant un large escalier qui menait à une terrasse. La porte d’entrée donnait dessus, ainsi que plusieurs porte-fenêtres aux volets clos. Sans une once d’hésitation James se dirigea vers ces dernières. Il tira son épée dont il glissa la fine lame entre les interstices des volets jusqu’à parvenir à soulever le crochet qui les retenait. Il écarta tranquillement les panneaux de bois et examina rapidement la fenêtre. Je l’observai avec un mélange d’admiration et de malaise. Il était plus qu’heureux qu’il fut venu avec nous, sans lui nous aurions été bien en peine d’entrer.

Les fenêtres étaient découpées en carreaux et il en brisa soudain un avec son crochet. Il passa rapidement son bras par le trou, attrappa la poignet et ouvrit. Puis il s’immobilisa sur le seuil d’un grand bureau assez luxueusement meublé et tendit l’oreille, aux aguets. Je me tenais juste derrière lui, le cœur battant, terrifiée à l’idée qu’il ait pu donner l’alerte. Mais aucun bruit ne nous parvint du grand bâtiment et nous nous glissâmes dans le bureau.

- Il faut trouver les chambres des enfants, murmura Outroupistache. Et ensuite il faudra monter sur le toit…

Je le maudis intérieurement de ses exigences, mais nous n’avions pas le choix. Comme nous traversions silencieusement le bureau, James s’arrêta soudain devant moi, cherchant à se retenir à quelque chose. Je parvins tout juste à le rattrapper avant qu’il ne s’écroule. Il prit appui sur moi de tout son poids et je retins un grognement. Il porta la main à son visage et se mit à masser ses tempes avec des gestes douloureux. Je regrettai que l’obscurité m’empêche de voir son expression.

- Tu devrais retourner à la voiture et nous y attendre, murmurai-je à son oreille. Tu n’es pas en état de continuer…

Ces quelques mots durent piquer au vif son orgueil car il se redressa presque aussitôt.

- Je vais très bien, répliqua-t-il stupidement. Je n’ai pas besoin de tes conseils.

Je soupirai.

- Maudit pirate entêté ! lui lançai-je vertement à mi-voix.

Et je le lâchai brusquement. Ses jambes faillirent le trahir, mais il parvint à se maîtriser et reprit son chemin, me tournant ostensiblement le dos. J’avais envie de l’étrangler pour être aussi orgueilleux et arrogant, et en même temps je ne pouvais m’empêcher de ressentir une certaine fierté. Je n’en demeurai pas moins sur mes gardes, prête à le rattrapper au cas où il aurait une nouvelle faiblesse.

Outroupistache nous attendait impatiemment devant la porte, trop petit pour l’ouvrir, les poignées étant inhabituellement hautes comme si elles dataient de la même époque que les vieux murs. James poussa doucement le panneau de bois et nous découvrîmes un large hall sur lequel donnait au moins quatre portes et un grand escalier. Nous nous avancions prudemment vers ce dernier lorsque la lumière s’alluma brusquement, nous éblouissant.

- Ne bougez plus ! lança derrière nous une voix anxieuse.


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7 octobre 2008 2 07 /10 /octobre /2008 09:32

Bonne journée tout le monde !
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                                                                                                   28


           James finit par s’endormir, ses forces comme aspirées par quelque chose d’invisible. Son sommeil était loin d’être calme, il s’agitait, soupirait, murmurait des paroles confuses où il était question de Peter Pan, de crocodile, de Mouche, de guerre… J’éprouvais une égoïste déception à constater que je ne faisais pas partie de ces êtres qu’il appelait dans son inconscience, mais je n’en demeurais pas moins à ses côtés, veillant jalousement sur lui. J’avais tiré les couvertures sur lui, mais cela n’avait pas suffi à étouffer ses incessants frissons et un élancement tiraillait mon ventre à chaque fois qu’un long tremblement le parcourait.

            Le changement avait été si soudain, si brutal. Ils devaient avoir raison, le Jolly Roger avait dû être attaqué et ils en avaient aussitôt subi les conséquences. Je songeai à l’enfant maigre et échevelé que j’avais aperçu quelques instants sur le bateau pirate. Peter Pan ne devait pas mourir, s’il disparaissait le Pays Imaginaire disparaitrait et tout serait fini. Il fallait qu’il survive, qu’il leur échappe. Je songeai à Mouche, imaginai le pirate en train de protéger l’enfant, de se battre jusqu’à son dernier souffle pour nous laisser encore une chance de les sauver. Il fallait que nous saisissions cette chance.

            Les heures suivantes me parurent des siècles. Je me rongeais les sangs, m’attendant à chaque instant à voir James disparaître, comptant les minutes, les secondes. Au début je parvins à rester allongée près de lui, mais l’immobilité finit par me rendre folle. Je me mis à faire les cent pas dans ma chambre, me retenant de frapper les murs dans mon angoisse rageuse. Je me retrouvai même à faire des abdominaux, puis des pompes, les dents serrées, en sueur, mais cela ne suffit pas à calmer mon anxiété. C’était la première fois de ma vie que je désirais à ce point que le temps s’écoule, et bien sûr c’était la première fois qu’il me paraissait aussi long.

            Lorsque mon réveil afficha enfin minuit trente je décidai qu’il était temps et plus que temps. J’avais allumé ma lampe de chevet et j’examinai rapidement James à sa lueur. Il était pâle et en sueur, mais sa fièvre semblait avoir légèrement diminué. Il paraissait enfin avoir trouvé un véritable sommeil réparateur et je jugeai préférable de ne pas le réveiller. Je déposai un baiser sur son front et quittai la chambre sans bruit.

            Dans le salon le Prince n’avait pas bougé, plongé dans une profonde inconscience. Son cheval gisait à côté du canapé, les yeux mi-clos, son flanc se soulevant au rythme de sa respiration haletante, et la main du Prince reposait sur son encolure, comme tombée là au hasard. Je déglutis. Mon regard croisa alors celui d’Outroupistache. Le gnome était sombre, mais résolu.

            - Il faut partir maintenant ! me pressa-t-il.

            J’acquiesçai vivement. J’enfilai rapidement des chaussures, récupérai mon sac et les clés de ma voiture. Nous étions déjà à la porte lorsqu’on nous rappela sèchement.

            - Où croyez-vous aller sans moi ?

            Je me retournai aussitôt. James était appuyé contre le mur, à l’entrée du salon. Sa voix était fatiguée, mais ferme, et son regard était clair. Il fit deux pas vers nous, vacilla, mais parvint à rester debout. Je me précipitai vers lui pour le soutenir et il s’appuya lourdement sur mon épaule.

            - Je viens avec vous, fit-il.

            Malgré son état son ton était hautain et impérieux. Il était inutile de discuter, n’importe quel argument se serait heurté à un mur d’arrogance. Je me contentai d’un soupir désapprobateur. Cependant lorsque je voulus le soutenir jusqu’à la porte il se détacha de moi et marcha seul avec une assurance presque confondante. Je jetai un dernier regard au Prince qui agonisait lentement et nous quittâmes l’appartement. J’appelai l’ascenseur et fermai soigneusement la porte en attendant qu’il arrive.

            J’aurais cru que ce nouvel appareil intéresserait Outroupistache, mais il était si absorbé dans ses pensées qu’il n’y prit absolument pas garde. Il serrait son rouet contre lui et se parlait à voix si basse que nous ne pouvions entendre. Tandis que nous descendions je pris la main de James et la serrai. Elle était brûlante et il ne me regarda pas, mais il me rendit doucement mon étreinte.

            Je fis attendre mes compagnons dans l’entrée, vérifiant qu’il n’y avait personne dans la rue. Heureusement je n’étais pas garée très loin et nous pûmes nous installer dans ma voiture sans encombre. Je dus leur expliquer comment attacher leur ceinture, chose qu’Outroupistache se refusa à faire et que je dus faire moi-même pour James. Enfin je pus démarrer.

            J’avais une folle envie d’écraser l’accélérateur, mais je craignais les contrôles et ce n’était vraiment pas le moment de nous faire arrêter. Je rongeai mon frein jusqu’à l’autoroute où je pus enfin lancer la voiture. James regardait le paysage défiler à toute vitesse avec une sorte de fascination incrédule et Outroupistache lui-même était sorti de ses réflexions devant cette nouveauté. Il se mit à m’interroger sur le fonctionnement de ma voiture et je me rendis vite compte que j’étais incapable de répondre à la moitié de ses questions, ce qui ne manqua pas de le stupéfier. Son insistance finit par me rendre nerveuse et je lui répondis rudement qu’il n’y avait pas besoin de comprendre le fonctionnement d’un objet pour s’en servir.

            Mon ton sec dut le blesser car il cessa de se tenir debout entre mon siège et celui de James et retomba sur la banquette arrière. Je jetai un œil dans mon rétroviseur, mais il était tellement petit que je le voyais à peine. Ma brusque colère avait soulevé une certaine tension et je m’efforçai de la dissiper.

            - Je peux vous poser une question, Outroupistache ? demandai-je poliment tout en fixant la route.

            - N’est-ce pas précisément ce que vous êtes en train de faire ? rétorqua-t-il sarcastiquement.

            Je pris une profonde inspiration. Ce n’était pas le moment de lancer une dispute.

            - J’aimerais savoir, continuai-je d’un ton aussi aimable que possible, pourquoi vous ne semblez pas souffrir de la situation comme James ou le Prince…

            Il y eut un bref silence et je vis que j’avais également capté l’attention de James. Je tendis l’oreille tout en essayant de rester concentrée sur les bandes blanches qui défilaient.

            - C’est que je ne suis pas exactement comme eux, répondit enfin le gnome. Je suis le nom, le mot, j’appartiens à la fois au monde réel et à l’imaginaire. Même si l’Imaginaire disparaît je resterai vivant dans ce monde.

            - Dans ce cas quel est votre intérêt à les aider ?

            Cette question parut le vexer profondément.

            - Et quel est le vôtre ? répliqua-t-il sèchement.

            Je crus qu’il avait dit ça pour la forme, mais en fait il attendait vraiment une réponse. Je me mis à réfléchir. En vérité, oui, quel intérêt avais-je à voir survivre l’Imaginaire ? Je sentais également peser sur moi le regard de James et je compris que je devais soigneusement peser mes mots.

            - Je ne sais pas…, finis-je par soupirer. L’Imaginaire est une chose si fondamentale que je ne me suis jamais posé la question de son utilité… C’est sûrement Oscar Wilde qui disait que seul le superflu est nécessaire… Ce qui est certain c’est que je ne peux pas envisager la vie d’un être humain sans un imaginaire quel qu’il soit. L’imagination c’est la liberté. Non ? L’ouverture, la liberté, le possible… Oui, l’Imaginaire c’est bien ça, une immense possibilité qui recouvre une infinité d’autres possibilités, comme un arbre dont les branches s’élèvent sans fin. Et sans possible… Ma foi sans possible la vie serait impossible… On ne peut pas vivre sans imaginaire, ou alors on n’est pas un être humain, on est une machine… Je crois que ce sont les raisons pour lesquelles je pense qu’il faut sauver l’Imaginaire et ses créatures. Ces raisons et d’autres, plus personnelles…

            Je posai la main sur la cuisse de James en disant ces derniers mots. Il tressaillit. Puis il prit mes doigts et les porta à ses lèvres dans un baiser fièvreux. Je détournai quelques secondes les yeux de la route pour caresser sa joue et me concentrai à nouveau sur la conduite.

            - Cette réponse me plait, reprit soudain Outroupistache. Et mes raisons sont proches des vôtres. Sans Imaginaire le mot perd tout son sens et demeure une enveloppe vide. Vous parliez d’un arbre, ce n’était pas faux. L’Imaginaire est comme un arbre et les mots sont comme ses feuilles. Si l’arbre n’a plus de feuilles, cela signifie qu’il va mourir ou qu’il traverse un pénible hiver. S’il n’y a plus d’arbre, ni de branches auxquelles se raccrocher les feuilles n’ont plus qu’à pourrir sur le sol… Mot et Imaginaire sont intrinséquement liés, voilà pourquoi j’appartiens aux deux, voilà pourquoi je dois sauver cet autre monde.

            Il se tut et le silence retomba dans la voiture. Je hochai la tête, comprenant ce qu’il voulait dire. Cependant mon inquiétude qui s’était un peu mise en veilleuse pendant cette conversation ressurgit brusquement. Arriverions-nous à temps ?

 

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6 octobre 2008 1 06 /10 /octobre /2008 07:32
Bonjour à tous !

Un petit coucou à mister Lothar qui fête son anniversaire aujourd'hui ! ;o)

Bonne journée à tout le monde :
@+


                                                                                               27


            Lorsque nous sortîmes de table il était dix heures passées. Le Prince proposa que nous nous reposions jusqu’à l’heure du départ et que nous en profitions pour dormir un peu. A voir ses traits tirés et les cernes sous ses yeux, il était évident qu’il avait besoin de repos. Je me demandai si lui aussi ne commençait pas à souffrir de la destruction des pays imaginaires. Aussitôt mon regard se reporta sur James. J’eus alors l’impression pénible qu’il était pâle et fatigué même s’il ne laissait rien voir d’une éventuelle faiblesse. L’angoisse m’envahit et je me mis à prier que nous arrivions à résoudre le problème avant qu’il ne soit trop tard.

            J’ouvris le canapé pour qu’il fasse office de lit, puis cherchai une couverture pour le Prince tandis que James me précédait dans ma chambre. J’installai le Prince aussi confortablement que possible et me surpris même à le border. Lorsque mes doigts effleurèrent les siens, je me rendis compte qu’ils étaient glacés.

            - Prince ? murmurai-je. Vous vous sentez bien ?

            Il rouvrit ses paupières qu’il avait déjà laissé lourdement retomber et m’offrit un sourire blême.

            - J’avoue que je ne suis pas en très grande forme, souffla-t-il. Mais ne vous inquiétez pas pour moi, ça ira… Je pense qu’ils doivent se battre au Pays Imaginaire, le temps nous est compté…

           - Nous réussirons, fis-je avec une assurance que j’étais loin de ressentir. Plus que quelques heures et nous réussirons.

            Il acquiesça vaguement.

            - J’ai besoin de dormir, souffla-t-il.

            Et il referma les yeux. Je me redressai, les sourcils froncés, inquiète. Mon regard croisa celui d’Outroupistache. Le gnome était sombre. Assis dans un coin obscur, il se mit à faire marcher son rouet tout en chantant à voix basse.

            La nuit enveloppe les cœurs

            Des personnnages de l’Imaginaire

            A leur tour ils ressentent la peur

            De n’être fait que de chair

            Délaissés par leurs créateurs

            Les voilà plus humains que jamais

            Devant leur ciel qui agonise…

            Et il continua ainsi encore et encore, sur un ton grave et mélancolique, emplissant les ténèbres d’une douloureuse tristesse. Cela finit par devenir si insupportable que je quittai brusquement le salon pour me réfugier dans les bras de James. Il était assis au bord du lit, la tête dans la main, son visage caché par ses cheveux. Je m’agenouillai aussitôt à ses pieds et le fis relever le menton. Je frémis en touchant sa peau.

            - James, mais tu es brûlant ! m’exclamai-je.

            Il soupira.

            - Le combat a commencé au Pays Imaginaire, murmura-t-il. Et l’issue ne fait aucun doute…

            - Oui, elle ne fait aucun doute, répondis-je fermement. Nous allons emmener Outroupistache à l’orphelinat et il règlera le problème.

            James eut un sourire triste.

            - Ou alors nous serons morts avant même d’avoir pu quitter ce maudit appartement, répliqua-t-il sans la moindre animosité.

            J’eus brusquement envie de le secouer.

            - Je t’interdis de dire ça !

            J’avais à moitié hurlé. James me dévisagea avec surprise, puis une petite étincelle apparut dans ses yeux. Je me jetai sur cet espoir.

            - Tu ne mourras pas, je le refuse, insistai-je. Tu m’entends ? Je refuse ! Tu es fort, tu vas te battre, tu ne mourras pas ! Outroupistache va vous sauver !

            James glissa tendrement sa main dans mes cheveux, puis m’attira doucement contre lui. Je le serrai dans mes bras avec force, comme pour le retenir contre moi à tout jamais. Nous nous allongeâmes lentement sur le lit, enlacés, silencieux. La fièvre faisait frissonner James par moment et je le serrais alors plus fort. J’aurais aimé absorber son mal en moi, mais je ne pouvais rien faire. Rien de plus que me répéter incessamment : je crois en toi, je crois en toi, je crois en toi…

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5 octobre 2008 7 05 /10 /octobre /2008 10:36

Bonjour à tous !

Pas de texte aujourd'hui, mais une nouvelle.
J'avais prévu de sortir Métamorphose, le tome 3 des Lunes de Sang pour début décembre de cette année.

Malheureusement, pour des raisons financières et personnelles, ce ne sera pas possible. Pour le moment la sortie est repoussée à une date indéterminée.

Mais ne vous en faîtes pas, tôt ou tard vous aurez ce bouquin entre les mains, illustré par tous les superbes dessins de Brice. Ce n'est qu'une question de temps. :o)

 

Bonne journée à vous et à demain pour la suite de Pan ! :o)

@+

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4 octobre 2008 6 04 /10 /octobre /2008 08:58
Bonne journée et bon week-end !
@+



                                                                                                   26


           Je découvris avec une certaine indifférence qu’il était plutôt beau garçon. Il me souriait d’un air tout à fait charmant. Il me tendit les cinq pizzas que j’avais commandées et je lui tendis en retour un billet, attendant avec impatience qu’il me rende la monnaie et qu’il parte. Mais il prenait son temps, fouillant dans sa sacoche à la recherche de pièces, comptant lentement.

            - Vous avez du monde ? me demanda-t-il amicalement.

            Je ne pus m’empêcher de ressentir une brusque méfiance. Puis il m’apparut aussitôt que c’était absurde et qu’il n’avait aucun moyen de savoir dans quel délire j’étais embarquée. Une bouffée de sympathie m’envahit soudain pour cet agréable jeune homme qui était totalement enraciné dans notre monde, inconscient des choses incroyables qui se déroulaient ailleurs. Je lui souris chaleureusement.

            - Oui, quelques amis, répondis-je.

            - Une petite soirée tranquille quoi, commenta-t-il.

            Il me tendit enfin ma monnaie.

            - Je suis nouveau sur ce job, ajouta-t-il, et je connais pas très bien le quartier. Vous savez pas où se trouve la rue Grimm ?

            Je savais où se trouvait la rue Grimm et lui expliquai gentiment. Il me remercia chaleureusement, s’apprêta à repartir et revint soudain en arrière. Il eut un sourire un peu timide.

            - Ca vous dirait pas d’aller boire un verre un de ces soirs ? demanda-t-il.

            Je fus à la fois stupéfaite et très flattée de cette proposition. Malheureusement je n’eus pas le temps d’y répondre comme elle le méritait. Les yeux du jeune homme se fixèrent soudain derrière moi, ses sourcils soulevés par la surprise. Je me retournai aussitôt. James s’était glissé dans mon dos sans faire plus de bruit qu’un chat. Il fixait sur le livreur un regard glacé, mais je pense que c’était davantage son apparence qui avait surpris le jeune homme. Avec ses vêtements d’un autre siècle, ses longs cheveux bouclés, sa moustache et sa barbiche, il ne ressemblait guère à mon courtisan impromptu. Et encore, il tenait son crochet caché derrière son dos.

            - Je crois que vous pouvez nous laisser maintenant, fit-il d’une voix menaçante.

            Le jeune homme ébaucha un sourire d’excuse complice, mais celui-ci se figea lorsqu’il comprit que la menace était bien réelle. James semblait peut-être sorti d’un autre siècle, mais son attitude froide et arrogante n’en demeurait pas moins impressionnante. Le livreur marmonna un bonsoir hâtif et se mit à dévaler les escaliers, disparaissant rapidement.

            Les pizzas sous le bras, je me tournai vers James, ayant toutes les peines du monde à retenir un sourire ravi. Ses yeux étaient toujours dentelés de givre, mais je n’en tins pas compte.

            - Jaloux ? murmurai-je.

            Sa mâchoire se crispa et il hocha la tête à contrecoeur.

            - Je crois que je l’aurais tué s’il t’avait touchée, répondit-il à mi-voix.

            Je ne pus contenir mon sourire davantage. Je me dressai sur la pointe des pieds et embrassai ses lèvres.

            - Je t’adore ! lançai-je joyeusement.

            Il parut surpris, puis secoua la tête avec incompréhension avant de lever les yeux au ciel.

            - Les femmes ! soupira-t-il.

            J’eus un petit rire et l’entraînai à l’intérieur, fermant à nouveau la porte à clé derrière nous. Nous pûmes enfin passer à table. Je crois que nous mourrions tous de faim, car les pizzas ne firent pas long feu. J’ouvris deux bouteilles de vin, mais elles non plus ne survécurent pas longtemps. Outroupistache nous regardait manger, assis sur le bout de la table, jouant avec son rouet qu’il avait sorti de nulle part. Le spectacle de notre dîner semblait beaucoup l’amuser. Le Prince et James avaient repris leur conversation, comparant les mérites des différents types de lame, et je les écoutai à peine, dévorant mon amant du regard, essayant de ne pas perdre une miette de lui, de ce qu’il disait, de ses gestes, de tout ce qu’il laissait voir. J’avais l’impression de manquer tellement de choses, de passer tellement à côté de lui que j’en devenais nerveuse.

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3 octobre 2008 5 03 /10 /octobre /2008 09:42
Bientôt le week-end pour ceux qui bossent ! ;o)
Bonne journée !
@+



                                                                                                  25


           Je sursautai violemment lorsqu’une petite main toucha ma cuisse. Outroupistache se tenait devant moi, un sourire amical et compréhensif aux lèvres. J’essuyai aussitôt les larmes qui me brouillaient la vue et m’obligeai à sourire à mon tour. Le gnome regarda autour de lui comme s’il cherchait quelque chose et avisa un tabouret. A ma surprise il le tira jusqu’à moi et sauta dessus. Je ne pus retenir un petit rire qu’il partagea bientôt.

            - Ma foi ! s’exclama-t-il. Je préfère parler aux gens en les regardant dans les yeux !

            Je souris encore, amusée par son expression à la fois fière et ironique. Mais je sentis à nouveau la tristesse et cette sorte de peur étrange m’envahir lorsqu’il redevint brusquement sérieux.

            - Connaissez-vous mon conte, mademoiselle ? demanda-t-il. Ou du moins une de ses versions ?

            J’acquiesçai lentement, cherchant à comprendre où il voulait en venir.

            - Vous savez donc que je suis celui que l’on doit nommer pour écarter la malédiction, poursuivit-il. Nommer une chose, mademoiselle, c’est tout à la fois l’accepter en soi et l’éloigner à tout jamais. Le nom cherche à définir quelque chose qu’il ne fait que cacher, cette mise à distance inéluctable est tout à la fois sa force et sa faiblesse. Mais elle est nécessaire.

            Il se tut quelques secondes et je fronçai les sourcils.

            - Le Capitaine Crochet, reprit-il sans me laisser le temps d’intervenir, appartient au Pays Imaginaire de par son nom même. Il est aliéné à ce nom jusque dans son corps, il ne peut pas y échapper. Il n’est pas James, il est Crochet. James n’est qu’une incidence, un détail, presque une erreur de la part de son créateur. Vous ne devez pas oublier ça. Lorsque j’aurai tissé à nouveau l’Imaginaire il retournera au Pays Imaginaire et vous ne chercherez pas à le retenir. Vous ne détruirez pas le Capitaine Crochet pour James, vous n’en avez pas le droit. Notre présence ici n’est qu’accidentelle, vous n’auriez jamais dû le rencontrer. Il ne vous appartient pas, il appartient à l’Imaginaire.

            Il se tut et je rougis sous son regard sévère. Je sentais quelque chose remuer dans mes entrailles, quelque chose qui me faisait mal, lentement, cruellement. Je baissai les yeux, pesant chacun des mots que je venais d’entendre. Outroupistache avait sans doute raison, mais je refusais de me plier à cette raison-là. Je voulais être égoïste, je voulais ne penser qu’à moi, ne penser qu’à nous. J’étais en colère contre moi-même de ne pas tout à fait y arriver. Je relevai la tête, cherchant une réponse adéquate, mais mon regard rencontra soudain celui de James.

            Il se tenait à la porte, nous observant avec un froncement de sourcils presque inquiet.

            - Il y a un problème ? demanda-t-il tandis que son regard se posait froidement sur Outroupistache, reflétant une certaine méfiance.

            Le gnome se contenta d’un sourire facétieux et sauta agilement du tabouret.

            - Pensez à ce que je vous ai dit ! me souffla-t-il avant de quitter la pièce en sifflotant.

            Je soupirai et me levai pour aller me regarder dans le miroir. J’étais plutôt décoiffée et j’avais les traits tirés. Je me sentais soudain très fatiguée. J’avais entrepris de me peigner machinalement lorsque James apparut soudain derrière moi, l’air soucieux. Il déposa un baiser dans mon cou et je sentis sa main effleurer mon dos. 

            - Qu’est-ce que ce maudit gnome t’a raconté ? murmura-t-il à mon oreille.

            Je tressaillis et m’efforçai de ne rien laisser paraître, continuant à me coiffer silencieusement. Un crochet apparut brusquement devant mes yeux, m’obligeant à me tourner lentement vers son propriétaire. Le regard de James s’était singulièrement refroidi.

            - J’aimerais que tu me répondes quand je te pose une question, fit-il entre ses dents.

            Je ne pus m’empêcher de frissonner en sentant sa colère rentrée. Avec un détachement serein je me demandai s’il serait capable de me tuer malgré ce qui s’était passé entre nous. Je craignais fortement que la réponse ne fut oui. Ce fut comme s’il lisait dans mes pensées car il recula brusquement. Il prit une profonde inspiration et sa colère parut s’évanouir lentement. Quelque chose comme de la tristesse la remplaça dans ses yeux d’azur. Il se détourna et fit nonchalamment glisser son crochet dans l’eau de la baignoire, évitant de me regarder, laissant un sillon à la surface liquide.

            - Il m’a simplement raconté son histoire, répondis-je enfin d’une voix calme.

            James m’accorda un bref regard, puis alla se planter près de la fenêtre, un sourire douloureusement sarcastique aux lèvres.

            - Si tu commences déjà à me mentir nous n’irons pas loin, dit-il froidement. D’autant plus que tu mens extrêmement mal.

            Je fus blessée par son ton cassant, mais c’était surtout à moi que j’en voulais. J’aurais dû être capable de passer outre les paroles d’Outroupistache, ou alors de les prendre en considération et d’en tirer les conséquences, à savoir dire à James que je le quittais au bout de quelques heures à peine. J’étais dans l’impossibilité d’appliquer l’une ou l’autre de ces solutions et cela me broyait le cœur. J’avais peur. Pas de la réaction de James, même si je savais qu’elle risquait de me faire regretter d’avoir osé aborder le sujet, mais de ce que moi je ressentirais après avoir laissé les choses prendre un tour irrémédiable. Je ne voulais pas décider. Il le fallait bien pourtant.

            Je fus sauvée par le bruit de la sonnette. Je faillis pousser un soupir de soulagement tant la tension qui me traversait était pénible. Je m’apprêtai à sortir sans un mot, mais je ne voulus pas être aussi cruelle. Je rejoignis James en quelques pas, déposai un rapide baiser sur ses lèvres.

            - Pardon, murmurai-je.

            Il ne fit rien pour me retenir lorsque je quittai aussitôt la pièce, mais je l’entendis soupirer. J’évitai ostensiblement de poser les yeux sur Outroupistache ou le Prince et attrappai mon portefeuille en passant. Un coup d’œil à travers le judas et je me composai un visage souriant avant d’ouvrir. Comme avec madame Walt je me plaçai dans l’entrebaillement pour éviter au livreur de pouvoir regarder à l’intérieur.
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2 octobre 2008 4 02 /10 /octobre /2008 09:31
Bonne journée !
@+


                                                                                              24


            J’étais pieds nus et j’évitai de trop approcher du coin cuisine.

            - Ca va ? demandai-je de loin à Outroupistache. 

            Il hocha lentement la tête, semblant avoir du mal à retrouver ses esprits.

            - Ca va, oui, maugréa-t-il. Mais vous avez décidément de drôles de machines dans votre monde !

            Je ris encore.

            - Je vais m’habiller ! lançai-je. Nous essayerons ensuite de nettoyer tout ça !

            Dans la chambre, je retrouvai James debout nu devant mon armoire, examinant mes vêtements. Il me sourit.  

            - La mode est bien différente dans ton monde, commenta-t-il. Mais ça me plait…

            Il prit un de mes pantalons préférés, une de mes chemises préférées, et me les tendit.

            - J’aimerais que tu mettes ça…

            J’eus un sourire ravi et l’embrassai fugacement.

            - Mon cher, nous avons les mêmes goûts ! m’écriai-je joyeusement. En revanche… j’exige que tu ne t’habilles pas !

            Je lui fis un clin d’œil et il sourit.

            - Je doute que le Prince ait envie de me voir me promener nu dans tes appartements, rétorqua-t-il en commençant à s’habiller à son tour.

            J’eus une moue déçue qui lui arracha un nouveau sourire. Quelques secondes plus tard j’aidai James à fixer à nouveau son crochet sur son bras. Il serra les boucles au maximum et je frémis en voyant le cuir et le métal lui rentrer dans la peau. Mais lorsque je voulus les desserrer il m’en empêcha avec douceur. Il secoua la tête.

            - C’est le seul moyen pour moi de sentir que j’ai quelque chose au bout de ce bras, murmura-t-il.

            J’embrassai son menton et l’enlaçai. Il soupira.

            - J’aimerais être capable de pleurer, juste pour te voir me consoler…

            Je souris et déposai un baiser à la naissance de sa gorge.

            - Ne dis pas d’idioties, rétorquai-je.

            Il glissa doucement son crochet sous mon menton pour me faire lever la tête et ses lèvres pressèrent les miennes. Nous faillîmes céder à nouveau à la tentation du lit, mais il sut se montrer raisonnable pour nous deux et je dois dire que j’en fus très admirative, et très frustrée.

            Nous retrouvâmes le Prince et Otroupistache dans la cuisine, en train d’explorer le frigo.

            - Auriez-vous faim, messieurs ? demandai-je espièglement.

            Outroupistache affirma qu’il ne mangeait jamais, mais le Prince avoua qu’il commençait à avoir un creux dans l’estomac. Je fis rapidement l’inventaire de ce qui restait dans mes placards, mais il n’y avait rien à part un paquet de pâtes, ce qui était un peu maigre pour deux hommes de bonne constitution et une jeune femme qui venait de beaucoup se dépenser. Comme nous avions encore de nombreuses heures devant nous je décidai de commander des pizzas, non sans prier mes hôtes de bien vouloir patienter encore un peu.

             La petite demi-heure qui s’écoula jusqu’à l’arrivée du livreur me parut curieusement longue. James s’était assis dans un fauteuil, non sans avoir récupéré la bouteille de rhum à ma grande consternation. Cependant il buvait plus par ennui que pour se saouler et il était inhabituellement chaleureux, me souriant à chaque fois que nos regards se croisaient. J’avais presque de la peine à croire que j’avais en face de moi le même homme que celui qui avait failli me tuer lors de notre première rencontre. Il n’avait rien perdu de son aristocratique distance vis-à-vis du Prince, mais ses yeux étaient comme deux lacs aux eaux enfin apaisées, miroitant d’une douce chaleur.

            Le Prince ne semblait pas savoir comment faire face à ce changement et je n’étais pas mécontente de le voir osciller entre l’incompréhension et l’incrédulité, profondément troublé. Cependant il continuait à se conduire en parfait gentilhomme et cette expression de sa noble nature couplée aux efforts de James avait singulièrement détendu l’atmosphère, au point que les deux hommes finirent par entamer une conversation polie sur les armes.

            Je les écoutai distraitement tout en nettoyant les dégâts occasionnés par les expériences d’Outroupistache, puis en préparant la table dans le coin salle à manger, le cheval du Prince achevant nonchalamment de dévorer sous mon nez ma plus belle plante en pot. Je jugeai préférable de ne rien dire, m’estimant déjà heureuse que ce sale canasson n’ait encore éprouvé aucun besoin naturel. Lorsque j’eus terminé de mettre le couvert, je gagnai la salle de bain pour vérifier que je ne ressemblais pas trop à une sorcière.

            Le sol de la petite pièce était inondé d’eau suite au passage du Prince et de son cher compagnon et je ne pus m’empêcher de soupirer à l’idée de devoir arranger ça. Et brusquement mes jambes se dérobèrent sous moi et je me retrouvai assise sur le bord de la baignoire, la tête dans les mains, envahie d’un affreux vertige.

            Toute cette situation était si surnaturelle, si incroyable, si impossible ! A cet instant même, dans mon salon, dans mon appartement, dans cette ville on ne peut plus réelle et matérialiste, le Prince des contes de fées et le Capitaine Crochet étaient en train de bavarder paisiblement tandis que le gnome Outroupistache explorait les mécanismes de mes différents objets ménagers. Mais il y avait encore pire que ça. J’avais couché avec le Capitaine Crochet, je lui avais dit que je l’aimais, j’avais essayé de toutes mes forces de tempérer sa violence, de l’attacher à moi, et j’avais… réussi ? C’était totalement absurde !

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Présentation

  • : Les Lunes de Sang
  • : Mise à jour : pour retrouver toutes mes infos, rendez-vous désormais sur www.anaiscros.fr Je suis auteur et le but de ce blog est de communiquer avec mes lecteurs, autour de ma série de fantasy Les Lunes de Sang et de mon roman fantastique La Mer des Songes, mais aussi de futures publications éventuelles, de manifestations auxquelles j'aurais l'occasion de participer, etc. Pour en savoir plus sur mes romans, n'hésitez pas à cliquer sur les catégories qui portent leur nom. Et pour me contacter, laissez un commentaire. Je reviendrai vers vous dès que possible. Merci de votre visite !
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