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Nos ébats furent moins brutaux cette fois, mais toujours emplis de la même passion. Aucun de nous n’avait envie de calme et de douceur et notre enthousiasme nous poussait davantage au corps à corps sans concession. Nous nous dévorions mutuellement. Nous étions encore enlacés dans le lit, à peine rassasiés, lorsqu’une autre faim se fit sentir. J’avoue que mon estomac fut le premier à se trahir, émettant un grognement fort peu élégant. James eut un petit rire qui me réchauffa.
- Je crois que tu ne m’en voudras pas si je te propose de manger un morceau ? murmura-t-il.
Le souffle de ses paroles avait caressé ma joue. Je souris, les yeux toujours clos.
- Il y a même de fortes chances pour que je te remercie, répondis-je nonchalamment.
Je ne fis pourtant pas mine de bouger, raffermissant mon étreinte autour de son corps. Je ne voulais pas le sentir se détacher de moi.
- Allons…, murmura-t-il encore avant de déposer un doux baiser sur mon front. Le Prince et Outroupistache doivent se demander ce que nous faisons…
Je ne pus retenir un gloussement.
- M’est avis qu’ils ne se posent pas trop de question ! répliquai-je avec amusement. Le Prince sait ce que c’est que de se retrouver seul avec une femme dans une chambre pendant des heures… Remarque, je me demande… C’est vrai, après tout dans les histoires, il les sauve, il les embrasse et ensuite ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants, mais rien de plus n’est précisé… Si ça se trouve, il lui est impossible d’aller plus loin qu’un baiser, de par sa nature de Prince, tu vois… Le pauvre ! Si c’est le cas, je comprends mieux son agressivité, il doit être sacrément frustré !
Je ricanai encore. James embrassa le bout de mon nez.
- Tu dis n’importe quoi, fit-il avec amusement. Les créatures imaginaires ont une vie en dehors des histoires, elles n’attendent pas le bon vouloir de ceux qui les racontent. Mon créateur n’a pas écrit la moitié des aventures que j’ai vécues, que ce soit en combattant Pan ou ailleurs…
Je rouvris les yeux pour découvrir son visage à quelques centimètres du mien, ses longs cheveux sombres étalés entre nous et chatouillant ma joue.
- Tu me raconteras ces aventures-là ? demandai-je candidement.
Il sourit.
- Un jour, c’est promis.
Son visage s’assombrit.
- Mais je doute que certaines de ces histoires-là me fassent grandir dans ton cœur…, ajouta-t-il avec tristesse.
Je caressai sa joue, m’amusai à entortiller sa moustache.
- Alors tu ne me raconteras que celles qui me feront t’aimer encore plus, répliquai-je avant de glisser ma langue entre ses lèvres.
Notre baiser fut interrompu par quelques coups timides à la porte. James tira aussitôt les draps sur nous et se redressa légèrement.
- Oui ? lança-t-il sèchement.
Le Prince apparut dans l’encadrement.
- Navré de vous déranger, fit-il froidement, mais je crains, mademoiselle, qu’il y ait quelqu’un à votre porte.
Ce ne fut qu’à ce moment-là que je réalisai que ce que j’avais cru être un son en provenance de la télévision était en réalité la sonnette de l’entrée. Je jaillis du lit et me précipitai vers l’armoire pour en tirer une robe de chambre. J’étais nue naturellement et le Prince ne détourna pas les yeux, du moins jusqu’à ce que James émette une courte toux sèche. N’y prenant pas garde, je courus hors de la chambre.
Outroupistache avait délaissé la télévision qui marchait avec le son à fond et une vieille série américaine ridicule. Le gnome était en train de tester mon presse-agrumes éléctrique. Quant au cheval du Prince il observait Outroupistache. Je jugeai préférable de ne pas assister au massacre et me retrouvai enfin devant la porte. Un coup d’œil par le judas me confirma que j’avais bien affaire à ma voisine du dessous. Je pris une profonde inspiration et entrouvris la porte.
- Madame Walt ! m’exclamai-je amicalement. Comment allez-vous ?
- Mal, me répondit-elle en essayant de jeter des regards vers l’intérieur de l’appartement que je cachais autant que je pouvais. Mademoiselle, je sais bien que vous êtes jeune et qu’à votre âge on peut être remuant, mais il est bientôt vingt heures trente et le bruit de votre télévision commence à devenir réellement insupportable !
- Oh, je sais, répondis-je. Je suis vraiment désolée ! Je m’étais endormie et j’ai oublié de baisser le son ! Mais je vais le faire tout de suite, ne vous inquiétez pas !
Au même moment Outroupistache mit le presse-agrumes en route. Il y eut un vrombissement, puis quelque chose craqua violemment, avant qu’une autre chose aille se fracasser sur le sol. Le cheval du Prince poussa un hennissement et dut avoir un mouvement de recul car ses sabots claquèrent sur le plancher. Ma respiration se bloqua tandis que je m’efforçai de sourire à ma voisine qui me dévisageait d’un air de plus en plus soupçonneux.
- Vous n’êtes pas seule ? marmonna-t-elle.
- Euh… Non, en effet, avouai-je d’un air innocent. Je reçois quelques amis, mais je vous promets que nous allons nous tenir tranquilles maintenant !
- J’ai cru entendre un cheval…
- Un cheval ?
J’eus un rire nerveux.
- Quelle idée absurde ! C’était sûrement à la télé ! Qui pourrait faire monter un cheval dans un appartement, je vous le demande !
Elle m’accorda une ombre de sourire.
- C’est vrai, mais on voit tellement de choses de nos jours…
- Vous avez bien raison, madame Walt ! rétorquai-je en commençant à refermer la porte. En tous cas ne vous inquiétez pas, vous serez tranquille maintenant ! Bonne soirée, madame Walt !
Je repoussai complètement la porte, tournai le verrou, puis la clé, et m’y adossai avec un soupir. Je découvris alors l’étendue des dégâts. Outroupistache était assis sur mon plan de travail, recouvert de jus et de bouts d’orange, l’air ahuri. Le presse-agrumes était fracassé sur le sol, il y avait du verre et du fruit partout. Même le cheval du Prince avait des débris d’orange sur la tête et son maître était en train de le nettoyer. Je levai les yeux au ciel, puis éclatai de rire. Nous avions échappé de peu à la catastrophe.